[NASA] Spitzer s’en va, c’est l’heure des grandes manoeuvres
Ce 30 janvier, la NASA enverra sa dernière commande au télescope spatial Spitzer, pour lui ordonner de cesser ses activités, de purger ses réservoirs puis d’éteindre ses instruments et de vider ses batteries. Après un décollage en 2003 et une carrière exceptionnelle, c’est le second des « quatre grands » télescopes conçus dans les années 1985-2000 à nous quitter après Compton. Il reste Chandra X-Ray et bien entendu Hubble, qui fêtera ses 30 ans au mois d’avril. Au delà des découvertes, la NASA est face à de grandes questions.
Vue d’artiste du télescope Spitzer. Crédits NASA
Petit ange parti trop tôt
Il se trouve que le télescope Spitzer, qui observe l’Univers en infrarouge, n’est en réalité pas en orbite autour de la Terre, mais autour du Soleil. Après son décollage grâce à un lanceur Delta II en 2003, il a été placé sur une orbite qui lui permettait de « suivre » la Terre à quelques millions de kilomètres de distance, un peu comme son successeur Kepler. Or la dérive de Spitzer, c’est à dire sa différence de vitesse avec celle de notre planète autour du Soleil était quand même conséquente. Si bien qu’après 17 ans, il se trouve à… 254 millions de kilomètres de la Terre ! Plus ennuyeux, avec l’inclinaison de sa trajectoire et l’éloignement de notre planète, le télescope est obligé de pivoter vers nous pour transmettre ses relevés… Sauf que du coup l’éclairement de ses panneaux solaires n’est plus idéal. Il faut donc jongler avec les batteries, les données et les relevés en sachant que chaque jour, Spitzer ne peux transmettre que durant 2h30. Par rapport à sa mission initiale, il y a plus ennuyeux. Après six années, en 2009, il avait épuisé son liquide de refroidissement. Eh oui, les capteurs infrarouges ont besoin d’être refroidis, sinon ils se détectent eux-mêmes. Bon, bien à l’abri dans l’ombre de son pare-soleil et avec l’isolation, les scientifiques ont pu préserver des mesures dans l’infrarouge moyen et proche, mais c’est un peu handicapant.
La nébuleuse de l’hélice, aussi appelée « l’oeil de Dieu » vue par Spitzer. L’infrarouge permet de mieux voir les nuages de gaz. Crédits NASA
Pour toutes ces raisons, Spitzer n’est plus très efficace. Et puis c’est une vieille machine, à laquelle il reste peu de carburant et qui est sujette à des pannes. La NASA a tenté le coup en le mettant en vente (ce qui a fait bondir les scientifiques mais aurait permis de prolonger sa durée de vie) mais n’a pas trouvé preneur. Il sera donc désactivé le 30 janvier. Pourtant, la perte sera bel et bien ressentie ! Les images de Spitzer ne sont pas que magnifiques, elles offrent aussi la possibilité de valider d’autres missions. Ce fut le cas même ce mois-ci parce qu’une équipe a détecté sur les relevés du « chasseur d’exoplanètes » TESS une première candidate d’une taille comparable à celle de la Terre au sein de sa zone habitable… Eh bien c’est Spitzer qui l’a observée pour la seconde fois, et a du coup confirmé le résultat de recherche. Trop cher et peu efficace, certes. Mais utile.
Détection d’exoplanètes avec Spitzer : c’est parfois plus facile en infrarouge… Crédits NASA
Des télescopes plus spécialisés, mais…
Il y a beaucoup de télescopes aujourd’hui en activité qui n’ont plus rien à voir avec ce qui était conçu au début des années 2000. Au sol notamment, on peut citer la Chine qui vient de mettre en service son radiotélescope FAST (500m de diamètre) après 3 années d’essais. Ou bien les nouveaux matériels de l’ESO, ainsi que les technologies d’optique adaptative, qui permettent avec une précision grandissante de mieux voir à travers l’atmosphère. En orbite aussi… Même si les nouvelles unités sont spécialisées avec des missions et des recherches spécifiques. Gaia par exemple, cartographie notre coin de la Voie Lactée. TESS cherche des exoplanètes. CHEOPS est conçu pour caractériser des exoplanètes déjà connues. Des domaines particuliers sur certaines fréquences ont gagné l’envoi de grandes missions très attendues, comme Spektr-RG l’année dernière… Et c’est très bien parce qu’on a besoin de mieux comprendre les phénomènes qui nous entourent après des mesures ces 20 dernières années qui ont levé de nouvelles questions.
Le télescope Spitzer en préparation avant son lancement. Crédits NASA
Toutefois, le domaine n’a pas vu se mettre en place une expansion dans tous les domaines. Ceux qui soulevaient le plus de questions ont été soutenus, et d’autres sont restés « tel quel » parce que les télescopes en orbite amenaient déjà une énorme plus-value. C’est le cas de Spitzer, et maintenant que ce dernier est à la retraite il n’y a pas vraiment de candidat pour le remplacer immédiatement. Le successeur logique est le JWST, qui sera lui aussi en bande infrarouge, mais il n’arrivera en orbite que dans un an, et ne sera pas actif avant la fin de l’été 2021 avec un programme pléthorique qui le mobilisera durant ses années actives pour la simple et bonne raison qu’il a des capacités hors du commun. Quid des observations IR « communes » ? De la simple observation ou de la confirmation de phénomènes ? De capacités qui permettent de l’observation de long terme et non de la « course à l’objectif » scientifique ? Les vieux télescopes ont ceci d’extraordinaire qu’ils offrent une liberté d’observation qui n’est plus liée à leurs objectifs principaux depuis longtemps remplis… En attendant, d’ici 2025-26 avec le lancement de WFIRST, il faudra patiemment attendre son tour en infrarouge… Et le futur nouveau télescope avec ses capacités sera lui aussi très demandé. A l’époque, Spitzer avait coûté 720 millions de dollars hors lancement. Ne serait-il possible de faire « juste » aussi bien pour bien moins cher aujourd’hui ? Eh bien… Ce n’est pas aussi facile à dire qu’à faire. Et aucune agence ne veut ou peux mettre la moitié de cette somme pour faire aussi bien que les 15 dernières années.
Ce qui reste de la supernovae Tycho. C’est… Splendide. Crédits NASA
La prochaine génération se cherche encore
Pour ce qui est de la NASA, la route jusqu’à 2025 est claire, d’abord avec le JWST puis WFIRST comme télescopes majeurs en développement, avec quelques missions d’observations annexes comme TESS ou NeoCam (recherche d’astéroïdes géocroiseurs) qui serait en bonne place pour être confirmé prochainement. Chandra, X-Ray, qui a fêté ses 20 ans l’année dernière, pourra peut-être tenir jusqu’à la fin de la décennie à venir… Mais pour se préparer, les équipes scientifiques qui travaillent avec ses données ont préparé un rapport amont préconisant le développement du télescope à rayons X Lynx. Ce dernier, tout en gardant une enveloppe budgétaire raisonnable, permettrait d’étendre considérablement les données de Chandra, de gagner en précision de mesure mais aussi et surtout en temps d’orientation et d’acquisition. En gros, il serait beaucoup plus performant. Entre Lynx et les propositions de télescopes optiques comme LUVOIR qui se précise (mais n’a pas encore été accepté), la NASA est devant une situation ambiguë. Faut-il soutenir de gros projets spécialisés comme c’est le cas actuellement, ou bien une petite flotte de télescopes moins puissants mais plus performants et moins chers, afin de couvrir l’ensemble du spectre de mesure ? La coopération internationale gagnerait à une vision claire, mais il faut préciser qu’il y a relativement peu de projets de télescopes en orbite. La Chine cependant développe son propre « Hubble » pour l’orbite basse, tandis que l’ESA développe des moyens très spécialisés orientés sur des domaines non observables aujourd’hui (LISA, Euclid) ou très clairement sur les exoplanètes (Cheops, Ariel, Plato) et complémente ses capacités avec des partenariats. De nouveaux projets verront probablement le jour quand une capacité en particulier sera cruellement absente pour une raison ou une autre.
Le centre de la Voie Lactée vue par Spitzer. Crédits NASA
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