[New Horizons] Une drôle de frontière
A peine plus d’un an plus tôt, la sonde New Horizons survolait Arrokoth, l’objet le plus lointain jamais approché par un véhicule spatial. Bien sûr à ce moment-là 2014MU-69 s’appelait encore Ultima Thule, avant que ce surnom (qui avait été soumis au vote du public) ne soit pas gardé pour son appellation officielle par l’Union Astronomique Internationale. A présent, et même s’il reste des données que la sonde n’a pas encore renvoyé, on en sait tout de même beaucoup plus sur ce petit monde, à 6,6 milliards de kilomètres de chez nous.
Arrokoth dans la nuit. Crédits NASA/SwRI
Arrokoth, ce monde étrange au ralenti
Une année sur Arrokoth dure 293 à 298 ans ! Ce petit corps de 36 kilomètres de long, avec deux lobes orangés et 20 km de large a été observé en quelques heures seulement par le passage de la sonde New Horizons dans la nuit du 31 décembre 2018 au 1er janvier 2019. Un survol aura suffi, et depuis la sonde nous envoie ses giga-octets de données malgré son tout petit débit. Les équipes scientifiques de la mission ont cependant déjà publié certains de leurs résultats préliminaires l’année dernière, et 3 nouveaux articles ont fait leur apparition dans « Science » ce mois-ci. Notamment, Arrokoth n’aurait pas beaucoup changé depuis sa formation en « bonhomme de neige » il y a 4,5 milliards d’années, au cours de la genèse de notre Système Solaire. Une aubaine pour les planétologues qui disposent du coup d’une sorte de capsule temporelle pour comprendre comment se sont formés les tout petits corps planétaires mais aussi les « blocs de base » de corps plus gros qui ont formé les planètes et lunes que l’on connait aujourd’hui. La vitesse et l’influence gravitationnelle des corps entre eux est si faible à 6,6 milliards de kilomètres du Soleil que selon les dernières publications, les deux lobes qui constituent Arrokoth ne sont pas vraiment entrés en collision : après s’être tournés autour à la vitesse de deux piétons autour d’un rond-point, ils se sont simplement posés l’un sur l’autre. Doucement. Fragilement. Au point qu’ils ne sont pas soudés ou imbriqués l’un dans l’autre comme c’est le cas d’autres corps bi-lobes que l’on a déjà eu la chance de visiter dans notre système solaire (le plus connu étant la comète 67p).
Soudés ? Non, posés. Crédits NASA
Les deux lobes se sont d’ailleurs probablement formés en même temps, puisque leur composition semble identique, que l’un n’a pas plus de cratères que l’autre, et que les deux semblent avoir été générés par l’agrégat de petits blocs au cours des débuts du Système Solaire. Un processus une fois de plus extraordinairement lent et doux « Si son environnement avait été chaotique, Arrokoth ne ressemblerait pas à ce qu’il est aujourd’hui, assure l’un des responsables scientifiques de la mission de l’Université de l’Arizona. Les équipes n’ont pourtant pas encore analysé l’ensemble des données capturées par la mission New Horizons, qui mettront jusqu’à 2021 pour parvenir sur Terre. Pourtant, par rapport aux publications préliminaires de mai 2019, ils ont déjà compilé… 10 fois plus de données ! Il faut se souvenir aussi que puisqu’il s’agit du tout premier objet de cette catégorie à être visité de près, il n’est pas tout à fait possible d’en tirer des généralités : c’est un trésor de données qui (comme d’habitude) pose énormément de questions.
La petite sonde New Horizons. Crédits NASA
New Horizons cherche un nouvel objectif
C’est officiel depuis le début du mois de février : l’équipe de la sonde New Horizons, en accord avec la direction de la NASA, cherche un nouvel objectif à survoler dans les années à venir. En 2014, c’est grâce à Hubble que les équipes avaient réussi à dénicher Arrokoth, qui avait ensuite seulement en 2015-2016 été confirmé pour l’extension de mission. A présent, on sait que New Horizons aura terminé l’année prochaine de renvoyer toutes ses données, et qu’il lui reste un peu de carburant pour manoeuvrer, donc c’est le moment idéal pour tenter, avant 2025-26, de se trouver un ou plusieurs nouveaux candidats à survoler. Bien entendu, il y a plusieurs contraintes. Déjà, il ne faut pas que ce soit trop éloigné de la trajectoire actuelle de la sonde, qui n’a pas tant de ressources à consacrer à son changement de trajectoire. Ensuite, rien ne sert de lui trouver un objectif pour 2028 : à cette date son coeur de plutonium sera moins radioactif et pourra donc moins convertir de chaleur en électricité : ce serait dommage de s’approcher d’un nouvel objet de la Ceinture de Kuiper sans pouvoir en prendre d’images ou en gardant les 2/3 de ses instruments éteints… Mais surtout, le plus gros challenge, malgré les progrès récents des télescopes qui vont demander à allouer du temps de recherche pour un objet candidat, ce sera bel et bien d’en trouver un. C’est une recherche inhabituelle, et pour rappel on a déjà du mal parfois à confirmer la présence de certaines planètes mineures avec des orbites elliptiques à cette distance, donc trouver un petit corps qui réponde aux contraintes ci-dessus ne sera pas évident. Qui plus est parce qu’à une telle distance, il suffit que la lumière renvoyée soit un tout petit peu trop sombre, et le KBO devient un bruit de mesure… Il est tout à fait possible que cette recherche fasse chou blanc ou que le prochain objectif de New Horizons ne puisse être approché qu’à grande distance.
Alan Stern, le responsable scientifique de la mission, a annoncé qu’il cherchait un nouvel objectif. Crédits NASA
Les découvertes continuent, mais…
La découverte de planètes naines a fait les beaux jours des découvertes astronomiques entre 2005 et 2015, avec des conséquences qui ont changé notre manière de voir le Système Solaire, notamment dans le classement de ce qui doit être une planète et ce qui ne l’est pas (ce qui fait toujours débat aujourd’hui, même chez les spécialistes). Toutefois, on peut remarquer que les efforts de grande envergure aujourd’hui se concentrent plus sur l’observation des exoplanètes plutôt que sur les tout petits corps à la frontière de notre propre Système Solaire… Une fois de plus parce que c’est un exercice particulièrement difficile. Mais pas que : c’est aussi un monde pour l’instant au-delà de nos capacités d’exploration régulières. Oui, bien sûr, on a réussi à y envoyer New Horizons (« on » en tant qu’espèce, je ne représente pas la NASA), mais ça n’est pas près de recommencer à moins que l’on voie dans la décennie qui vient un nouveau projet pour survoler une autre des planètes naines. La prochaine sélection de missions de classe « Discovery » qui donnera le sésame à deux nouveau projet d’exploration planétaire, a désigné ses finalistes, et un seul projet est dédié à une exploration « lointaine », la mission TRIDENT qui a pour objectif la lune de Neptune, Triton. S’agissant d’un survol, on pourra peut-être espérer (si elle est choisie par l’agence américaine) des aventures plus lointaines en extension de mission… Pour le reste, la « grande chasse » démarrée en 2016 continue pour chercher la Planète 9, qui continue de briller par son absence malgré des calculs renouvelés qui tendent à prouver son existence (il n’y a toutefois pas consensus scientifique sur la question). Une chose est sûre, le Système Solaire lointain restera encore longtemps un paysage froid et mystérieux…
A propos de Discovery : https://www.clubic.com/mag/sciences/conquete-spatiale/actualite-885863-nasa-enverra-missions-explorer-systeme-solaire.html
Les données du survol de Pluton non plus n’ont pas donné tous leurs fruits. On parle notamment de nouveaux cycles de l’azote dans la fine atmosphère de Pluton. Crédits NASA/SwRI
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