[Tourisme] Revenez demain !
Le monde étant littéralement (ou presque) à l’arrêt pour cause de confinement afin de limiter au maximum la transmission du très craint COVID-19, de nombreuses entités privées réduisent la voilure, par choix (Blue Origin, Virgin Galactic et Orbit) ou partiellement par nécessité (il y a des cas chez SpaceX à Hawthorne, par exemple). Si ça vous a échappé, l’heure n’est pas franchement au tourisme spatial. Mais en fait, est-ce vraiment dû au virus ?
Oui on n’a pas de nouvelle photo, alors on recycle… Crédits Blue Origin
Blue Origin, Virgin Galactic, la guerre du canapé
Restez chez vous ! En tout cas c’est le message appliqué à la lettre pour la capsule New Shepard et l’avion fusée suborbital VSS Unity. Cela dit, difficile de croire que ce soit tout à fait lié à l’épidémie actuelle. Commençons par Blue Origin. L’entreprise réalisait le 11 décembre dernier la 12è parabole réussie de sa petite capsule. En dévoilant des images du « prochain exemplaire », presque prêt, comme c’était le cas déjà au cours de l’année dernière. Pour l’occasion, les commentatrices du vol assurent que le vol auquel on assiste est l’un des deux derniers tests sans occupant avant que les vols habités puissent commencer. En retard, certes, mais pas tant que ça ! Depuis, le public attentif aura de nouveau été douché. Blue Origin annonce à présent, comme l’année dernière (et l’année d’avant) que le premier humain à voler sur New Shepard décollera « avant la fin de l’année ». Et cela ne tenait pas compte d’un ou deux mois potentiels de confinement. La seule information publique sur le système est que la NASA envisageait un vol de plusieurs expériences estampillées de l’agence nationale avant le mois de juin. On ne le répétera jamais assez, sans package, sans mise en forme, sans « expérience », sans inclusion, celle de donner à ses futurs clients l’impression de prendre part à l’aventure spatiale elle-même, il faudra voler très régulièrement pour attirer du monde. Or New Shepard fonce vers le 5è anniversaire de son premier vol. La moyenne est d’un tous les 5 mois pour le moment.
Le VSS Unity dans son hangar au Nouveau Mexique. Crédits Virgin Galactic.
L’expérience client, les partenariats pour rendre l’aventure aussi exclusive que possible et la force de frappe commerciale, Virgin Galactic en ont à foison. Entre l’astroport au Nouveau Mexique (le Spaceport America) tout équipé pour les futurs touristes avec un énorme « lounge », le partenariat avec Under Armour pour des combinaisons de vol sur mesure, celui avec Land Rover ou la cérémonie de « remise des ailes » d’astronautes, Virgin a pensé à tout. Jusqu’aux actions, qui peuvent vous permettre pour une douzaine de dollars de mettre la main à une véritable épopée spatiale. Ne manque que… Eh bien, l’avion fusée, quoi. Cela devient bien embarrassant pour Virgin, malgré toute la communication qui va autour. Le 14 février, l’avion porteur VMS Eve se posait au Spaceport America, avec le VSS Unity sous son ventre. Un bien bel événement, et l’entreprise en profitait pour s’ouvrir un tout petit peu au planning à venir : un ou deux tests de retour sans allumage moteur pour pratiquer l’approche de la piste et l’atterrissage, puis deux vols paraboliques à la frontière de l’espace avec moteur et hop, ils pourraient embarquer Richard Branson pour le démarrage des opérations commerciales. Mais cela fait déjà plus d’un mois et aucun essai n’a eu lieu avec le VSS Unity. Depuis 13 mois il n’a plus volé seul, et l’entreprise continue d’assurer que tout va bien, que les documents sont en cours avec la FAA et que les techniciens équipent la cabine pour les futurs passagers. A moins qu’il s’agisse d’un partenariat pour incruster trouzmille cristaux Swarovsky dans le cuir des sièges, ça n’aurait pas du prendre si longtemps. Les grandes annonces commerciales de l’année dernière paraissent déjà bien loin. Comme d’habitude ? Non. Car maintenant, les comptes sont publics. Au dernier trimestre, Virgin Galactic a perdu 73 millions de dollars. Difficile de croire que les résultats seront soudain meilleurs…
Pour quelques centaines de dollars, on devrait pouvoir se payer un « saut » dans Crew Dragon sous élastique… Crédits SpaceX
SpaceX revend des promesses, et des tickets
La première annonce est tombée en février. Space Adventures, l’entreprise connue pour être la première et finalement la seule à avoir emmené des touristes en orbite sur l’ISS, grâce à un partenariat avec Roscosmos pour acheter des places pour les « flight participants » millionnaires, a passé un accord avec SpaceX, pour une mission impliquant quatre passagers. Surprise, cette dernière (qui durerait cinq jours « seulement ») offrirait aux touristes concernés la possibilité de grimper jusqu’à 800 km d’altitude… Du jamais vu comme orbite depuis les missions Gemini ! De quoi s’offrir une vue de la Terre franchement unique et… Débourser des millions de dollars ? L’opportunité de vol est prévue pour 2022. Et on imagine que si Space Adventures a signé un accord, c’est qu’il devait y avoir un intérêt. Reste que les tickets pourraient atteindre des sommets, car utiliser une Crew Dragon , c’est environ 55 millions de dollars par siège si on en croit certaines fuites (prix NASA). Après, si la capsule est réutilisée, qui sait… La deuxième annonce a eu lieu moins d’un mois plus tard, et concerne Axiom Space, qui a aussi une bonne réputation puisque c’est l’entreprise avec laquelle la NASA s’est engagée à agrandir l’ISS en y ajoutant des modules « publics privés » à partir de 2022. Axiom Space a toujours fait état d’une demande pour le tourisme en orbite basse et spécifiquement vers l’ISS, mais c’est à présent concrétisé. Cette fois c’est bien à destination de l’ISS que les touristes devraient partir, avec amarrage automatisé et un séjour d’une grosse semaine sur place (dix jours en tout) , pour un prix non communiqué. Petite astérisque, ce vol ne comporterait que trois touristes, car ils seraient accompagnés d’un astronaute d’Axiom Space qui jouerait le rôle d’encadrant. Annoncé pour 2021-2022 (comprenez 2022 si l’entreprise peut payer), cette nouvelle offensive touristique attend donc la mise en service de Crew Dragon. Et visiblement, la « hype » autour de SpaceX fonctionne très bien pour promettre des billets. Reste à voir s’il est possible d’en vendre, et si de richissimes clients feront vraiment le voyage.
SpaceX n’a pas encore eu le culot de (re)vendre des tickets sur Starship pour le moment. Intéressant… Crédits E. Musk
Il n’y a donc que les américains ?
C’est vrai qu’on peut se poser la question. Faut-il être entrepreneur américain pour rêver d’emmener des gens « dans l’espace » ? Que ce soit à sa frontière, ou même plus loin, il semble que les autres nations et en particulier leurs industries spatiales n’aient aucune foi dans ce créneau. Bien sûr en Europe, il y a eu quelques tentatives. Citons les suisses de S3, mais ça n’est pas arrivé bien loin… Bien entendu, on n’oublie pas la Russie qui, une fois que les américains n’auront plus réquisitionné des places dans Soyouz à coup de dollars, pourra à nouveau ouvrir des vols avec des « flight participants ». Ils restent les seuls à l’avoir jamais fait. Mais on ne peut pas dire que ça ait donné lieu à un essor industriel quelconque. Et la Chine, qui compte son lot de multimillionnaires et un florissant secteur du « New Space »… Pas plus. D’aucuns diront que les américains sont les seuls fous à pouvoir et vouloir investir dans un mirage pendant 15 ans pour un véhicule qui ne sera jamais rentable. Peut-être bien. Et peut-être qu’aucun des trois industriels ci-dessus n’arrivera à pérenniser son activité touristique pour qu’elle représente vraiment quelque chose. Mais une chose est sûre, c’est qu’on ne peut y arriver qu’en essayant…
Restez avec nous pour les dernières informations sur la formidable aventure de l’exploration spatiale, avec des articles documentés et un point de vue ludique et francophone! Rejoignez-nous sur Twitter (@Bottlaeric) ou sur Facebook ! N’hésitez pas à réagir avec les commentaires