[ULA] AEHF-6, comme si tout allait bien
21h18, ce mercredi 25 mars. Le moteur RD-180 d’Atlas V rugit, accompagné une fraction de seconde plus tard par les tuyères des 5 boosters auxiliaires AJ-60A. Le sol de Cape Canaveral tremble, et le lanceur s’élance, entamant immédiatement son virage pour gagner de la vitesse horizontale. Il faudra pourtant presque six heures de mission pour emmener le satellite AEHF-6 jusqu’à l’orbite géostationnaire. Une mission réussie… Et un oubli : autour, tout ne tourne plus très rond.
La plus puissante version d’Atlas V. Crédits ULA
Un premier vol pour la Space Force
Ah oui, celui-ci, pas moyen de le retarder. AEHF-6 (Advanced Extremely High Frequency) est un satellite militaire, il est donc prioritaire sur les petites choses de la vie comme l’épidémie de COVID-19, qui paralyse les Etats-Unis en général, mais aussi le secteur spatial, que l’on avait cru un moment capable de s’isoler. Pour ce satellite AEHF-6, qui s’occupe des communications de la chaîne de commandement américaine (mais aussi australienne, anglaise, canadienne et hollandaise) avec ses compères lancés depuis 2010, 2012, 2013, 2018 et 2019, c’était la dernière mission pour un maillage continu en orbite géostationnaire. Les Etats-Unis peuvent désormais envisager sereinement pour une décennie leurs communications dans les pires moments, du moment qu’il restera un terminal AEHF (c’est bas débit) vivant au sol, ils pourront commander une frappe de riposte. Les AEHF sont donc partie de la chaîne de la dissuasion américaine, avec leur résistance « garantie même en cas de guerre nucléaire », mais surtout leurs signaux chiffrés et leurs liaisons inter-satellites assurant des communications avec le sol peu importe le point de départ. Une dernière pour AEHF, donc… Et une première pour la « Space Force » ! Créée officiellement fin décembre, la nouvelle agence au sein de l’US Air Force remplace l’Air Force Space Command et s’occupe donc du lancement. Mais c’est avant tout un changement de badge pour les personnels sur place…
Le logo n’est finalement pas si moche. Crédits ULA
Par ailleurs, ce lancement (qui s’est très bien déroulé) n’a pas eu lieu dans un contexte facile. Par chance, Atlas V était déjà assemblée ces derniers jours lorsque le Kennedy Space Center et Cape Canaveral ont mis en place des mesures de confinement et de « distanciation sociale ». Le centre, qui a progressivement adopté des mesures drastiques, a toutefois permis aux équipes de ce tir « lié à la sécurité nationale » d’avoir lieu. Reste que le staff d’United Launch Alliance était réduit d’environ 25%, tout comme celui des personnels de la base. A l’exception des photographes (soumis à différentes mesures), les accès presse ont été fermés.
Les antennes des satellites AEHF-6, puissantes et précises, seraient l’un de ses principaux atouts. Crédits ULA
Atlas V fait des merveilles
D’ailleurs, il va falloir continuer un moment : malgré les efforts actuellement déployés en Alabama, les travaux de mise en place du lanceur Vulcan seront probablement retardés, eux aussi, par l’épidémie actuelle. Vulcan dont Tory Bruno, l’excellent communiquant aux rênes d’ULA, divulgue photo sur photo sur les réseaux sociaux. On sait que les deux réservoirs du premier étage sont en cours d’assemblage sur le site de Decatur, tandis que Centaur V est en production. Vulcan, c’est acté, sera sur la scène quelque part en 2021, en attendant d’avoir une date un peu plus précise (à titre personnel je dirais pas avant le printemps). Mais surtout, il ne va pas être facile à ULA de « remettre les compteurs à zéro » avec un lanceur qui n’a pas encore fait ses preuves : des moteurs tout neufs pour le premier étage, une structure plus légère, de nouvelles coiffes, de nouveaux boosters de chez Northrop Grumman… Tandis que sur le même pas de tir, les derniers exemplaires d’Atlas V avec ses 73 réussites consécutives, ses 82 succès sur 83 vols (un « partiel » en 2007), ces statistiques qui font aujourd’hui rêver n’importe quel fournisseur de services d’accès à l’orbite. Mais enfin, il faut bien évoluer. Atlas V a encore de gros défis devant lui, notamment cette année avec un agenda rempli de vols « à ne surtout pas rater ». Le prochain devrait avoir lieu à la fin du printemps avec le décollage de la petite navette X-37B de la défense américaine à embarquer jusqu’en orbite basse, tandis que fin juillet, ce sera le tour du rover Perseverance de partir vers Mars. Un agenda qui sera peut-être complété d’ici le mois d’août par un nouveau vol de la capsule Starliner si Boeing arrive à prouver à la NASA que les erreurs ont toutes été rectifiées (ce qui avec le confinement, risque en fait de prendre du temps… Et pour un vol probablement non habité). Bref, pour Atlas V, le succès a un goût sucré et piquant : tout autre résultat serait catastrophique.
Si, si, c’est beau. Crédits ULA
ULA et l’US Air Force : on fait encore comme si.
Il se trouve que le vainqueur du « super contrat » de la défense américaine, pour lequel s’opposent SpaceX, ULA, Northrop Grumman et Blue Origin, n’est pas encore connu. A l’origine ce devait être l’été dernier, mais la décision a été repoussée… D’autant qu’il y a déjà des revendications sur le dernier contrat de développement fourni par l’US Air Force, qui a compris de généreuses enveloppes à ULA, Northrop Grumman et Blue Origin, mais pas à SpaceX, qui avait eu le malheur de mentionner Starship dans le document, ce qui aurait fait basculer l’entreprise dans la catégorie « développement risqué ». Enfin qu’importe, puisqu’en théorie les deux sélectionnés pour envoyer les satellites de la défense américaine entre 2022 et 2027 n’ont pas besoin d’avoir eu un contrat de développement… Et que SpaceX est la seule entreprise des quatre à déjà disposer de ses lanceurs sur catalogue. Le vainqueur sera finalement annoncé au début de l’été, et pour chacune des entreprises, gagner est important. Pour SpaceX, c’est une assise et une rentrée d’argent qui peut permettre à l’entreprise de développer plus vite ses projets annexes. Pour Northrop Grumman, c’est la raison d’être du lanceur OmegA, développé pour ce contrat en particulier. Pour Blue Origin, ce serait la colonne vertébrale de leur activité naissante de lancements orbitaux. Et pour ULA ? En pleine transition entre Atlas et Vulcan, il se trouve que le contrat de l’US Air Force a d’ores et déjà été intégré au business plan. Ce qui signifie qu’United Launch Alliance n’envisage pas seulement de gagner : pour maintenir toute leur cadence de production, leurs prix, leur outil industriel et leurs emplois, ils doivent gagner. Un choix de business risqué… Je me demande bien si l’US Air Force se laissera tordre le bras de la sorte pour cette sélection, pour laquelle aucun « clair favori » n’a été mis en avant pour le moment (même si le public est unanime sur SpaceX). Encore faudra-t-il que Vulcan, OmegA et New Glenn soient à l’heure au rendez-vous…
A défaut d’être révolutionnaire, ce sera l’un des premiers lanceurs orbitaux à fonctionner au méthane et à l’oxygène liquide. Crédits ULA
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