[Boeing] Aux abonnés absents
Voilà une période difficile pour le géant américain. Il ne faudrait pas faire l’erreur de relier tous les sujets car il s’agit bien là d’une multinationale tentaculaire. Bien sûr, les déboires du 737 MAX n’ont rien d’autre de commun avec Starliner que le logo sur ses flancs. Mais pour le public, pour la perception de Boeing, le mal est fait… Et même si on ne se concentre que sur le spatial (c’est ce quenous faisons ici), on peut mesurer rapidement que l’entreprise n’est pas dans une bonne phase. D’où une question : vaut-il mieux baisser la tête et laisser l’orage passer ou attaquer tout azimuts ?
SLS est juste au coin de la rue… (photo prise en janvier). Crédits NASA.
SLS et Artemis, reste-t-il quelqu’un à bord ?
Avec les restrictions d’accès des différents sites de la NASA au mois d’avril, les importants travaux préparatoires de l’essai « Green Run » pour le Space Launch System (ou SLS) ont été amplement retardés. Ce qui est dommage, parce que d’après le responsable des vols habités à la NASA, pour une fois les équipes avaient 10 jours d’avance sur le programme… Mais bref. Aujourd’hui, SLS est toujours dans un état de retard critique, et cela repose en grande partie sur les équipes de Boeing (et celles de la NASA directement qui s’occupent de l’étage à Stennis). Au 15 mai, le premier étage de SLS est donc toujours sur son « banc d’essai » après l’installation au tout début de l’année, et ses quatre moteurs RS-25 n’ont pas encore donné de la voix, en commun pendant 7 longues minutes. Pire, l’étage n’a pas encore subi de remplissage des réservoirs accompagné d’un compte à rebours fictif, il reste donc des étapes majeures à passer, et plusieurs mois avant d’en terminer. Pour vous dire à ce stade, je serais très étonné si l’étage central de SLS quittait le centre d’essai de Stennis avant début septembre… Si l’essai se passe bien. Décrié pour la gestion de la construction comme du calendrier actuel (une date officielle pour le lancement sera annoncée la semaine prochaine, et ce sera pour la fin 2021), Boeing n’a pas intérêt à se rater sur ce programme…
L’étage en préparation sur le site de Stennis. C’est long. Crédits NASA
Boeing a aussi « raté » sa candidature pour deux appels d’offres importants pour le futur du programme Artemis. Le géant américain était en effet attendu pour une proposition de cargo afin de livrer du fret à la future station spatiale Gateway en orbite lunaire… Avant de passer complètement à côté avec une proposition (non détaillée par la NASA) qui était hors sujet. On peut supposer qu’ils ont proposé une version de Starliner ? Mais enfin ça n’est pas certain, et SpaceX (qui a remporté le premier contrat) a surpris tout le monde avec un nouveau véhicule « Dragon XL », capsule totalement inédite mais basée sur leurs travaux actuels. Que dire alors sur le fait que Boeing a aussi été écarté du « contrat géant » pour un atterrisseur lunaire ? Le futur LEM sera commandé à Dynetics, Blue Origin (dans le cadre d’un gros partenariat) ou SpaceX…. Mais pas Boeing, ce qui sonne presque étonnant. On sait toutefois que la proposition reposait sur l’usage de SLS, et même de SLS dans sa version plus puissante, la « block 1B » équipée d’un étage supérieur EUS… Développé par Boeing. Il y a, disons, une logique. Mais EUS n’est pas prêt et ne sera pas prêt en 2024, ce qui justifie sans doute une partie de l’éviction du géant. Reste à se demander aussi si les autres « casseroles » que traîne Boeing en ce moment ne sont pas liées.
Il n’y aura probablement pas d’astronaute dans Starliner cette année. Crédits Boeing
Starliner, plus chère et plus tard
Car en terme de casserole, le dossier Starliner se pose en star actuellement. Après une très longue préparation, le premier vol à destination de l’ISS, sans astronautes, en décembre dernier s’est soldé par un échec. Ou du moins disons, un semi-échec : après 3 jours en orbite la capsule s’est posée sans encombre sur le site de White Sands, ce qui était plutôt encourageant. La faille a été vite identifiée, mais une enquête qui a duré ensuite quasiment deux mois en coordination avec la NASA a montré qu’une autre catastrophe avait été évitée de justesse : le logiciel de vol aurait pu faire entrer en collision Starliner et son module de service. Les résultats de l’enquête recommandaient logiquement 60 points de correction pour Boeing, ainsi que de nouvelles procédures de test de la part de la NASA, dont les garde-fous et les simulations n’ont pas permis de trouver ces erreurs en amont. Alors que faire pour Boeing ? Le printemps était déjà gâché, et ils ont logiquement choisi de refaire un vol de test inhabité pour lever les doutes et ne pas rejeter leurs responsabilités. Il y aura donc un OFT-2 (Orbital Flight Test), avec la capsule prévue pour voler avec des astronautes, qui se rendra sur l’ISS (on croise les doigts) pour une semaine, avant de se poser à nouveau et de valider le programme.
Le van pour amener les astronautes sur le pas de tir (lequel est terminé depuis 2016) attendra encore. Et encore. Crédits Boeing.
Il faut du coup poser la question : combien de temps pour exécuter les actions correctives suite au rapport de l’audit et pour préparer ensuite la capsule pour son vol ? La réponse est assurément plusieurs mois. Lorsque Boeing a annoncé le nouveau vol, l’accent était sur ce retour pour le troisième trimestre, qui pouvait « éventuellement » être suivi par le vol de test avec deux astronautes quelques mois plus tard. Comprenez, « on aimerait bien tout boucler avant la fin de l’année ». Or on sait déjà maintenant qu’il n’en sera rien. Dans le calendrier d’ULA, il serait impossible de faire voler Starliner avec Atlas V avant la mi-août (Perseverance + 5 semaines)… Mais lors d’un compte rendu au Congrès il y a quelques jours Douglas Loverro a montré un calendrier prévoyant le vol pour « l’automne ». Or ne l’oublions pas, il y a un autre vol du Commercial Crew, habité celui-ci, qui doit déjà prendre place au mois de septembre « si tout va bien ». C’est USCV-1, le premier décollage « de routine » pour Crew Dragon. Alors, le calendrier sera-t-il aménagé ? Starliner sera-t-elle prête à la fin de l’été pour un décollage en septembre ou octobre ? Le dossier est plus qu’embarrassant pour Boeing, qui cumulera alors déjà plus de 18 mois de retard sur SpaceX (démonstration réussie sur l’ISS en mars 2019), avec un plus gros chèque encaissé et un gros malus sur la réputation publique … Si le vol prévu le 27 mai réussit, alors ce sont des astronautes sur Crew Dragon qui auront ramené aux Etats-Unis la capacité d’envoyer des humains en orbite.
Très belle, mais secrète, X-37B est une grosse réussite de Boeing… Crédits US Space Force.
X-37B, ça tourne bien…
Bien sûr, ce sombre tableau de retards et de semi-échecs peut être contrebalancé par la réalité financière (hors Covid, la branche espace de Boeing se porte plutôt bien). Le géant de Seattle bénéficie de nombreux contrats passés à la fois par la NASA mais aussi par la défense américaine. Ce 16 mai, c’est la petite navette X-37B de l’US Air Force (conçue, assemblée et au moins partiellement opérée par Boeing) qui doit décoller grâce à Atlas V depuis Cape Canaveral. Ce programme discret restera, il faut le souligner, comme un succès éclatant pour l’entreprise, qui s’occupe de la seule navette spatiale en opération aujourd’hui, capable de rester et manœuvrer plus de deux ans en orbite avant de se poser seule et de repartir quelques mois plus tard (bien qu’il existe deux exemplaires et qu’il est donc difficile de savoir lequel vole à quel moment). X-37B a dix ans de vol, et continue d’évoluer par petites touches avec l’ajout pour ce décollage d’un petit module de service à l’avant, qui sera éjecté avant que le véhicule n’entame sa rentrée atmosphérique. Un bel exploit à venir pour celle qui reste aujourd’hui la seule navette en opérations… pour le moment. Y a-t-il besoin de plus ? Plusieurs industriels le pensent, comme les italiens et européens avec Space Rider, la Chine qui a son propre programme ou Sierra Nevada qui prépare DreamChaser pour des aller-retours avec l’ISS. Reste que ça n’est pas l’autoroute spatiale que certains imaginaient dans les années 80… Mais pour Boeing, c’est un programme qui marche bien. Dommage, ils auraient pu capitaliser dessus pour le programme Phantom Express (XS-1), mais ils ont laissé tomber le contrat pour l’agence de défense américaine au début de l’année…
Restez avec nous pour les dernières informations sur la formidable aventure de l’exploration spatiale, avec des articles documentés et un point de vue ludique et francophone! Rejoignez-nous sur Twitter (@Bottlaeric) ou sur Facebook ! N’hésitez pas à réagir avec les commentaires