[RocketLab] Vol au-dessus du lot
Samedi 13 juin, RocketLab faisait décoller son petit lanceur Electron pour la 12è fois. Après plus de deux mois d’une baisse drastique d’activité liée à la crise du COVID-19 et un report pour cause de mauvaise météo, la petite fusée emmenait ses cinq satellites en orbite sans problème. Un onzième succès significatif… Et une avance que les concurrents auront du mal à rattraper, si tant est que ce soit possible. Il y aura encore de la casse dans le secteur. Le 25 mai, après des années de retard, le premier décollage de Virgin Orbit a eu lieu, et s’est terminé en un rapide échec.
RocketLab se prépare encore à accélérer
Ah notez bien, celle-ci on l’a déjà entendue plein de fois. Et RocketLab devait à l’origine faire décoller 16 fois son lanceur Electron… En 2019. Le monde réel est finalement un peu plus sévère, mais RocketLab s’en sort bien. Financièrement, vous avez tout à fait le droit de douter (les tirs « low cost » suffisent-ils à assurer du profit pour une entreprise qui ne cesse de grossir…). Mais techniquement, c’est du solide. Une série de 11 tirs (sur 12) réussis, des équipes aguerries, des contrats avec quasiment tous les opérateurs de petits satellites dans le monde, et une liste de décollages à venir qui ressemble à ma to-do list de la semaine. Si on peut encore difficilement parler de Start-Up (ils sont up, ils ont fait leur premier tir orbital en 2017…), c’est une entreprise qui a réussi deux ans avant tous ses concurrents directs à atteindre l’orbite efficacement. Et maintenant, ses employés sont expérimentés, sa chaîne de production est en place, les équipes peuvent réaliser sans trop sacrifier leur vie personnelle environ un tir par mois. Bonne chance pour les concurrencer. Pire, une grande part des contrats de RocketLab viennent directement du gouvernement américain. Air Force, NRO, NASA, Darpa, ils sont tous passés sous la coiffe du petit lanceur noir. Rien ne vaut une bonne expérience pour une deuxième signature…
Electron est devenue en 3 ans une référence. Hâte de voir où en sera l’entreprise en 2023. Crédits RocketLab
Pour aller plus vite, RocketLab continue de se développer. En priorité géographiquement. Le pas de tir situé à Wallops (Virginie) est supposé être prêt, mais avec la crise du COVID, c’est compliqué et le premier tir n’est plus envisagé avant au moins le mois d’août (les dates ne sont pas très claires). Du coup le prochain décollage, au service de plusieurs opérateurs d’observation de la Terre (et nommé « Pics or it didn’t happen » aura lieu depuis le pas de tir de Mahia en Nouvelle-Zélande. Sur place, les équipes de RocketLab construisent à présent un troisième pas de tir, et offrent à leurs clients des possibilités de lancement groupés ou décalés d’une orbite (on ne voit pas bien à quoi ça peut servir mais c’est là). Ce dernier ne sera pas prêt avant la fin d’année, mais RocketLab a d’autres pistes pour augmenter le rythme. A savoir la récupération et la réutilisation de ses premiers étages de fusée, bien sûr. Le système, qui n’utilise pas d’allumage moteur comme le fait SpaceX, doit survivre à sa rentrée atmosphérique, puis déployer un parachute orientable, et être récupéré par un hélicoptère qui le déposera doucement avant de se poser. Un scénario qui ne cesse de s’affiner. Un test a eu lieu en avril avec la phase impliquant un hélicoptère et le parachute, qui s’est très bien déroulé (mais les conditions étaient optimales). Et les ingénieurs continuent de récupérer des données des étages qui transmettent leur télémesure avant de s’abîmer en mer. La première récupération « tout équipée » devrait avoir lieu pour le vol numéro 17. Soit… D’ici l’automne.
En terme de communication d’ailleurs, les écussons de mission de RocketLab sont assez inégalés. Crédits Rocket Lab.
Le tir inaugural de LauncherOne se termine en petit désastre.
Difficile d’évoquer LauncherOne sans commencer par les retards en série de ce petit lanceur… Qui sur le papier est tout de même capable d’envoyer jusqu’à 400 kg en orbite basse, soit le double d’Electron, qu’elle était censée concurrencer… Dès 2017. Après un largage de test réussi en juillet dernier et moult promesses qu’il ne restait que quelques semaines de préparation, les équipes de Virgin Orbit ont accéléré la cadence en mai. Après quelques tours de tarmac, puis un vol d’essai avec le lanceur chargé en ergols, la première tentative orbitale a eu lieu le 25 mai. Mais LauncherOne n’est pas comme un autre lanceur, et ne dispose pas de pas de tir : elle est larguée depuis un 747 en vol à plus de 12000 mètres qui exécute un magnifique cabré. Ce qui en soi a plein d’avantages… Et l’inconvénient que si le moteur a un gros problème à l’allumage ou une seconde après, eh bien c’est trop tard, le lanceur est déjà en chute libre. Attention, je ne suis pas en train d’écrire que si LauncherOne utilisait une méthode de décollage classique, cet échec n’aurait pas eu lieu. Ce qu’on peut dire en observant la vidéo c’est que très peu de temps après l’allumage du moteur, ce dernier a « toussé » avant de s’éteindre, laissant LauncherOne s’abîmer en mer.
Ah oui quand même, c’est ballot.
Il s’agissait pour le coup d’une charge utile de test, pas d’un satellite d’un client. Il n’y a pas eu de blessés, ni de dégâts matériels autres que le lanceur lui-même, ce qui est déjà un bon bilan pour un échec très peu de temps après le décollage. Les équipes ont aussi récupéré des milliers de points de données qu’ils vont pouvoir analyser pour que tout ceci ne se reproduise pas… Ceci étant écrit, c’est un mauvais coup pour Virgin Orbit. Si les statistiques qui accompagnent les premiers décollages de lanceurs n’étaient pas de leur côté (ça se situe toujours autour de 50%), l’entreprise avait investi beaucoup dans cette première campagne, avec beaucoup, beaucoup d’attention aux tests au sol. Quelque chose n’a pas fonctionné et il faut non seulement identifier le souci, mais aussi implémenter les solutions sur les exemplaires suivants qui attendent déjà leur tour à Long Beach en Californie. Surtout, il faudra aussi vérifier tout le reste. Car lorsqu’une erreur vous passe sous le nez et fait rater le vol au bout de 4 secondes, ce n’est pas la même chose que d’avoir le guidage juste avant l’éjection du satellite qui lâche. Le résultat final est le même, mais ici, Virgin Orbit avait encore les 10 autres minutes de fonctionnement à prouver. Malheureusement pour les équipes, il reste peut-être d’autres cruelles vérités à trouver sur LauncherOne, et pour ça il faudra une deuxième campagne. Embarquera-t-elle un satellite d’un opérateur prêt à tout sacrifier ? Il est trop tôt pour le dire. Actuellement, je pense que Virgin Orbit ne table pas sur une reprise des essais avant au moins le mois d’août (et probablement plus tard). La firme n’a communiqué aucune date.
La communication de Virgin Orbit sur une « insfrastructure minimale » a quand même pris un coup avec les 10 remorques nécessaires pour assurer le décollage de la fusée sous voilure. Crédits Virgin Orbit
Le NewSpace continue de foncer…
Investisseurs ou non, il n’y a pas le choix ! Il se murmure avec la crise liée au COVID-19 que le marché des investisseurs risque de se tarir pour certains secteurs, dont le spatial. C’est effectivement une possibilité, mais à court terme, s’il n’y a pas de casse sous la forme d’un défaut de paiement, le secteur du NewSpace américain en particulier doit continuer sa fuite en avant. Il n’y avait déjà pas assez de clients pour tous les lanceurs en développement au début de l’année, alors maintenant qu’on sait que ça ne va pas s’arranger pour les opérateurs de satellites, autant mettre les bouchées doubles et remporter des contrats avant ses concurrents. RocketLab est bien implanté, avec plus de contrats que de capacités de tir. Virgin Orbit s’est planté sur le premier vol. Il reste donc un peu de place… Et tout le monde se bat pour l’avoir. Les prochains à retenter le coup font presque office de vétérans, puisque c’est le retour d’Astra et de sa petite fusée qui tentera de décoller depuis l’Alaska. Pas de chance, début mars un incendie sur le pas de tir avait détruit la structure de lancement ainsi que la fusée qui allait dessus, après deux tentatives pour décoller au mois de février. Le nouveau matériel devrait être plus fiable et sécurisé.
Budget peinture : zéro dollars. Crédits Astra.
Les autres concurrents continent d’investir dans leurs infrastructures de production et de tests au sol. Il y a Firefly Aerospace qui continue de se préparer pour le vol de son lanceur Alpha (après un accident en janvier, ils sont sur la bonne voie mais n’ont pas donné de date). Il y a Relativity Space, qui « imprime ses lanceurs en 3D » ce qui est très beau mais ne préjuge en rien de ses futures qualité de vol (pas de date). Launcher (quel beau nom pour finir en page 8 de google) et puis SpinLaunch… Bref, des équipes qui se donnent à fond en vue de leurs premiers essais. Il ne faudrait pas rater le coche : comme Vector l’an dernier, plusieurs d’entre eux sont à un seul coup de téléphone du banquier de renvoyer tout le monde à la maison. Mais finalement, le jeu n’en vaudrait-il pas la chandelle ?
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