[Astéroïdes] La longue route du savoir
A l’occasion du fameux « Asteroïd Day » le 30 juin pour célébrer l’anniversaire de l’impact du météore dit de Toungouska en 1908, il me paraît intéressant (comme chaque année) de vous parler un peu des nouveautés de l’exploration des astéroïdes. Globalement, il faut retenir que c’est une population extraordinairement variée, issue malgré des événements et des fragmentations et autres changements d’orbites des prémisces du Système Solaire. Surtout, plus on étudie ces centaines de milliers de débris de notre voisinage, plus on se rend compte qu’ils ont chacun leur spécificité, mais qu’on pourrait en apprendre plus. C’est tout simple : les astéroïdes sont fascinants. Et on les connait… Peu. Vous allez me dire, il y a 20 ans on n’en avait simplement photographié 4 avec des sondes… Alors aujourd’hui, on est à 14, sans compter Ceres et Pluton, qui techniquement font partie des « corps mineurs » (et sans les comètes). Mais gardons leur le statut de planètes naines, et voyons ce qu’on va chercher à faire d’ici le prochain « Astéroïd Day ».
La surface de l’astéroïde Ryugu. Crédits JAXA
Hayabusa2 revient vers nous avec des échantillons de Ryugu
Toute bonne nouvelle en 2020 devrait être chantée jusqu’à se péter une corde vocale. Donc sachez que pour l’instant, le retour de la sonde japonaise Hayabusa2 avec à son bord les précieux échantillons issus de deux collectes à la surface de l’astéroïde Ryugu se passe très bien. Les propulseurs ioniques font leur travail, et continuent d’accélérer la sonde tout en modifiant sa trajectoire pour qu’elle croise celle de la Terre au mois de décembre. Il y a deux semaines environ, la sonde s’est même payé le luxe (rassurez-vous, c’était prévu) de passer près de la planète Mars. Pas suffisamment pour qu’on appelle ça un survol, mais à l’échelle les deux trajectoires ont brièvement fusionné. Les labos au sol sont prêts, les échantillons vont atterrir en Australie avant d’être transférés sur le campus à Sagamihara et d’être ouverts dans des caissons à environnement contrôlé (d’abord dans le vide, puis avec atmosphère à l’azote pour éviter toute réaction avec l’air ambiant). La mission fêtera ses 6 ans au mois de décembre, il faut donc espérer que les derniers mois continuent comme le rêve éveillé que vivent les équipes japonaises depuis le décollage. Ce ne seront pas les tout premiers échantillons d’astéroïdes (il y avait eu Hayabusa dans la dernière décennie) mais cette fois ce sera plus que quelques grains, et les scientifiques savent déjà ce qu’ils veulent trouver. Il y aura de très belles publications sur le sujet dans un an, après environ 6 mois d’étude.
Bennu, le plus beau tas de cailloux qu’on puisse imaginer. Crédits NASA
Et si Bennu et Ryugu étaient issus du même astéroïde parent ?
Le 20 octobre si tout se passe bien, les équipes de la mission NASA OSIRIS-REx retiendront leur souffle : c’est à cette date que leur véhicule devrait à son tour tenter la collecte d’échantillons. La sonde ne reviendra vers la Terre qu’en 2023 et là aussi, on peut raisonnablement espérer que tout se passe bien. Ce sera un moment assez inédit pour nos connaissances sur les astéroïdes, car non seulement Ryugu et Bennu se ressemblent (ils font partie de la même « famille » d’astéroïdes) mais les indices s’accumulent pour montrer par simulation comme en fonction des résultats de ces deux mission que ces astéroïdes sont en fait issus du même corps parent, au sein de la Ceinture d’Astéroïdes située entre Mars et Jupiter, il y a des centaines de millions (voire des milliards d’années). Complètement pulvérisé par un impact majeur, un astéroïde d’une centaine de kilomètres de diamètre voit ses débris s’éparpiller dans toutes les directions, puis se réagréger sous l’effet de la gravité en peu de temps, formant des astéroïdes plus petits, véritables piles de débris et de petits morceaux… Exactement comme Bennu et Ryugu ! Malgré leur différence en matériaux hydratés, c’est un scénario qui fait beaucoup de sens… Mais qui ne pourra être validé qu’avec l’étude des échantillons. Laquelle ne pourra pas prouver à 100% que le parent est identique, mais qu’il y a de très, très grands indices qui vont dans ce sens (eh oui en sciences c’est difficile de prouver les choses à 100% parfois, surtout s’il faut remonter dans le passé sur des milliards d’années… On a déjà la chance de pouvoir « jouer » à cette table !).
Dégradé de cailloux dégradés par des cailloux dégradés par le temps. Crédits NASA
La mission Dart-Hera se précise
Dans un peu plus d’un an le 22 juillet 2021, la mission NASA Dart décollera de Floride, pour entamer son trajet et foncer le plus rapidement possible sur sa cible, le petit astéroïde-lune qui accompagne depuis des siècles Didimos, un géocroiseur relativement bien connu. Jusqu’ici baptisée « Didimoon » par les préparateurs de la mission et même jusqu’à certaines publications scientifiques, ce petit satellite naturel vient de gagner un nom officiel : Dimorphos. Le but, avec la petite sonde Dart (qui n’empêche, aura de grands panneaux solaires) qui ne pèsera qu’environ 500 kg sur la balance, sera donc de percuter Dimorphos, si possible avec une vitesse égale ou supérieure à 6 km/s. Au passage, si les américains y arrivent, il faudra leur envoyer les lauriers nécessaires parce que ça revient à foncer avec la vitesse d’un TGV à travers le chas d’une aiguille… Mais bref. Le cratère d’impact sera conséquent (on l’espère), et si tout se passe bien, la trajectoire de Dimorphos sera très légèrement infléchie (ça va se jouer au milimètre/seconde, mais ça joue). L’ESA arrivera ensuite autour de Didimos et Dimorphos après son lancement en 2024, et étudiera à la fois le cratère d’impact et le système formé par cet astéroïde et sa petite lune. Une première, et une mission novatrice pour l’ESA (même si elle aurait pu être plus ambitieuse en observant directement l’impact) qui à part Rosetta n’a pas eu de grande mission vers un astéroïde. En bonus, ce sera la première fois que des européens embarqueront des co-satellites CubeSat au long cours, deux « 6U » qui auront une fin de vie assez intéressante, puisque je peux vous révéler (je pense que je suis un des rares au courant pour l’instant) que Juventas et APEX (c’est leur nom) tenteront de se poser (ou de s’écraser avec douceur) sur la surface de Dimorphos. De cette façon, on continuera d’étudier les propriétés des matériaux de surface des astéroïdes, en continuité avec les missions Hayabusa2 et OSIRIS-REx actuelles.
L’impact de Dart sur Dimorphos ne sera malheureusement pas visible à aussi bonne résolution… Crédits ESA
Où en est Destiny+ ?
Le Japon, qui est vu aujourd’hui comme le pays de référence pour l’étude des astéroïdes (sur un pied d’égalité avec les Etats-Unis qui ont plus de missions, mais n’ont pas le passif décennal de la JAXA), n’abandonnera pas le sujet une fois les échantillons d’Hababusa2 récupérés. Déjà, les connaissances engrangées serviront pour la mission MMX, la très ambitieuse visite des deux lunes de Mars à l’horizon 2024 (avec là aussi, récolte de matériel à la surface). Une mission longue, ambitieuse, chère, et qui ne pardonnera aucune erreur. Mais si Phobos et Deimos sont peut-être des astéroïdes capturés, ce sont avant tout les lunes de Mars, plus des cailloux de l’espace à part entière… Entre alors en scène la mission Destiny+, dont on entend si peu parler qu’on ne sait pas exactement si elle est toujours sur la feuille de route de l’agence japonaise. C’est un petit véhicule de moins de 500 kg, qui serait mis en orbite par un petit lanceur Epsilon, et qui irait (grâce à des panneaux solaires super légers et à une propulsion ionique améliorée) visiter l’astéroïde 3200 Phaeton. Pas orbiter, car ce dernier a une orbite très particulière et très elliptique qui l’embarque à l’apohélie bien au-delà de l’orbite de Mars, au passage proche de la Terre et à l’intérieur de l’orbite de Mercure pour le périhélie ! Phaeton est le corps parent des météores Géminides qui font joli dans le ciel à la mi-décembre. Destiny+, si son survol fonctionne (ce ne serait après tout qu’une mission expérimentale) pourrait tenter de survoler Phaeton une seconde fois ou bien d’utiliser son carburant à se rapprocher d’un ou plusieurs autres astéroïdes géocroiseurs avant la fin de la décennie.
Heureusement, la mission Hera prendra le temps d’étudier le système de deux astéroïdes, leurs interactions et leur surface. On devrait en apprendre beaucoup. Crédits ESA
Lucy, dans un an et demi !
Si Dart est la prochaine mission à se diriger vers un astéroïde géocroiseur, la mission Lucy qui démarrera à l’automne 2021 (16 octobre, 5 novembre) devrait à elle toute seule augmenter de plus d’un tiers le catalogue des astéroïdes observés ! La mission partira en effet pour aller survoler des troyens de Jupiter, à savoir les astéroïdes dont l’orbite est située autour des points de Lagrange Jupiter-Soleil L4 et L5 (les grecs et les troyens, pour être exact), le tout en profitant d’un survol « sur le chemin » de l’astéroïde Donaldjohanson et de ses 4 km de diamètre. La sonde ira à la fois voir le groupe des grecs (en premier) et y survoler plusieurs objectifs, avant de repasser par l’orbite proche de la Terre pour se repropulser vers les troyens. Les survols sont très alléchants, puisqu’on a l’astéroïde Eurybates, dont on a découvert une petite lune en janvier 2020, et le tout dernier de la liste, Patroclus, qui est en fait un système binaire de deux astéroïdes de plus de 100 km de diamètre qui dansent ensemble à 600 km de distance. Si ça ne vous fait pas rêver que d’imaginer ces deux là… D’ici 15 ans et même sans l’apport de la Chine (qui devrait s’y mettre aussi) le catalogue des objets survolés devrait dépasser les 25-27 unités !
Les trois NavCam, ou caméras de navigation (dont une de secours) de la mission Lucy. Crédits NASA
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C’est beau mais on aimerait bien avoir des photos en couleurs quand même…