[ISRO] Mais où est passé l’Inde ?
Oui alors pas géographiquement, hein. De ce côté là, toujours coincée entre le Pakistan, la Chine, le Népal et le Bangladesh… Par contre dans le spatial, c’est ni plus ni moins qu’une désertion : les opérations qui n’avaient déjà pas un rythme florissant avant la crise du COVID-19 sont carrément à l’arrêt depuis. Encore plus perturbées que les campagnes de lancement des européens au Centre Spatial Guyanais, les aventures de l’agence indienne, l’ISRO devront attendre… au moins la fin de l’été.
Le satellite indien GSAT-30 est le seul objet indien à avoir atteint l’orbite cette année (merci Ariane 5). Crédits : ESA/CNES/Arianespace/CSG/G.Barbaste
GISAT n’est pas parti, le COVID est arrivé
Le décollage de GISAT était prévu le 5 mars, et ce devait être le tout premier en 2020. Une mission à haut potentiel, parce que GISAT est un satellite indien de 2.27 tonnes, avec une taille inhabituelle due à son très long instrument optique. Une mission à tout point exceptionnelle, qui a pour but d’observer la Terre avec une résolution dite « médiane » de 42 mètres au sol mais avec un très large champ de vue depuis l’orbite géostationnaire, pour des observations météorologiques mais aussi l’observation de la pollution, des catastrophes naturelles et de l’urbanisme, le tout sur plusieurs bandes de fréquence. Une mission qui devait lancer l’année, quoi. Et pour envoyer GISAT, il fallait GSLV Mk2 et ses performances pour l’envoyer en trajectoire GTO (250 x 36000 km). Tout était prêt, et il y avait même une coiffe spéciale en inauguration, pour ce tir, avec un diamètre de 4 mètres. Mais le 3 mars au soir, patatras, juste avant d’autoriser le remplissage des réservoirs, un défaut technique est isolé (on ne sait aujourd’hui encore pas vraiment de quoi il retournait), et le lanceur doit être renvoyé dans son bâtiment d’intégration. Rien de grave, prévenait l’agence indienne, les activités reprendraient quelques jours plus tard… Sauf que voilà, le COVID-19 a un peu perturbé tout ça.
Aussitôt sortie, aussitôt rentrée, GSLV. Crédits ISRO
C’est à dire que maintenant on est le 27 juillet, et GISAT n’a toujours pas décollé. Pas plus qu’aucun autre satellite indien, vous me direz, et c’est désespérément vrai. En 2020, l’Inde a un étonnant compte de zéro (0) décollages à son actif. Les raisons sont comme toujours, multiples. D’abord, le « petit incident technique » de GISAT n’était clairement pas aussi innocent qu’il a paru un moment. Ensuite, l’Inde a eu son confinement un peu au même moment que l’Europe, ce qui a entraîné des ennuis avec la chaîne logistique des sous-traitants étatiques, dont certains n’ont malheureusement pas encore, ou pas du tout repris leur activité. Enfin, et c’est triste à dire, mais l’Inde subit actuellement une recrudescence importante de cas de COVID-19, ce qui a tendance à paralyser à nouveau certaines régions. Résultat, l’agence nationale est engagée dans la lutte, produit des respirateurs, restreint au maximum ses déplacements et… Dans ce contexte, ne prépare pas de campagne de vol. Le premier qui pourrait avoir lieu décollerait au plus tôt fin août sur PSLV, mais à titre personnel je n’y crois pas beaucoup. L’Inde spatiale, dans ses activités de lancement aujourd’hui, est à l’arrêt. Pour une (re)prise, il faudrait à minima viser septembre…
Le très inhabituel satellite indien GISAT. Crédits ISRO
2020 n’était pas une année à manquer…
Il ne faut pas tourner autour du pot, 2019 s’était relativement mal terminé pour l’Inde, avec le raté de l’atterrissage de Vikram et de son petit rover Pragyaan sur la surface lunaire en septembre, suivi par un couac de communicationlaissant supposer le véhicule intact à la surface, mais en fait non, mais si, mais on ne sait pas où il est. En novembre, la NASA révélait que les débris étaient étendus sur une zone relativement large, et que l’impact avait du avoir lieu à plusieurs dizaines de mètres par seconde. BREF. A la fin d’année, le directeur de l’ISRO, K. Sivan annonçait en grande pompe qu’une mission Chandrayaan-3 allait voir le jour, et qu’elle ne reprendrait que les éléments atterrisseur et rover pour réussir à la deuxième tentative. Ce qui en soi est déjà ambitieux, parce que se poser sur la Lune n’est pas un exercice facile. D’autre part, depuis le mois de septembre dernier, aucune, strictement aucune image issue de l’orbiteur Chandrayaan-2 n’a été montrée au public. Enfin, Chandrayaan-3 devra logiquement attendre 2021 (et plutôt la fin si vous voulez mon avis), ce qui est dans un sens dommage car cela cannibalise d’autres projets de sondes, comme celle qui devait partir en 2022 pour Venus.
Le dernier lancement PSLV auquel on ait pu assister, le 11 décembre dernier. Crédits ISRO
Bref, la crise actuelle ne va pas favoriser la préparation de cette mission… Comme celle des 25 décollages un temps envisagés par l’ISRO pour cette année 2020, et surtout, surtout, la préparation des vols habités. Car oui, en plus d’être dans une perpétuelle phase de transition pour ses lanceurs (en 2020 on aurait du voir l’arrivée de SSLV, un lanceur « low cost » défiant toute concurrence, mais aussi quelques améliorations sur GSLV Mk 3). Rappelons que le premier ministre indien a demandé à l’été 2018 à son agence nationale d’envoyer des astronautes en orbite depuis l’Inde, au sein d’un nouveau projet appelé Gaganyaan, et ce avant fin 2022. La date du premier décollage fut ensuite fixée au 30 décembre 2021, et un premier essai non habité de la capsule avec une grande partie de ses systèmes de vol aurait même du faire son vol inaugural fin 2020. Aujourd’hui, je ne veux pas vous décevoir, mais à part la formation des astronautes indiens qui se poursuit en Russie (ils sont 4), on n’entend pas excessivement d’échos positifs sur le programme. Cela restera une priorité pour l’ISRO, si bien que Gaganyaan pourrait court-circuiter d’autres projets spatiaux, mais je dois dire que ce n’est pas excessivement rassurant : se presser pour un projet habité (dont la date relève plus d’une fierté nationale que d’une nécessité), c’est ouvrir la porte à des erreurs qui peuvent se révéler fatales. C’est un programme cependant, dont j’ai hâte de pouvoir vous reparler avec quelques détails quand les avancées auront repris.
Ironiquement, on ne sait même pas aujourd’hui si GSLV est toujours assemblée à la verticale dans son bâtiment d’assemblage, ou si les éléments ont été séparés pour un stockage de plus longue durée. Crédits ISRO
L’Inde va jouer la carte du secteur privé
Le 16 mai, le ministère des finances indien annonçait une nouvelle initiative pour ouvrir les portes du spatial indien au domaine privé. Jusqu’ici, il faut avouer que ça s’était cantonné à quelques sous-traitants de l’ISRO plutôt qu’à un plan à grande échelle. Cela a été formalisé ensuite le 24 juin avec IN-SPACe, à savoir l’Indian National Space Promotion and Autorisation Center, dont l’objectif est de trouver de nouvelles pistes avec le secteur privé indien (réuni sous une bannière globale appelée pour sa part New Space India Limited). L’objectif est de réorganiser à moyen-long terme les activités de l’ISRO pour faire plus plus grande place au secteur privé industriel. Le modèle serait à priori calqué sur ce que font les Etats-Unis, à savoir laisser la R&D aux institutions étatiques et à l’agence, pour ensuite faire des appels d’offre et des échanges technologiques avec les industriels indiens qui auraient à leur charge la mise en oeuvre des missions et éventuellement d’autres commercialisations. Quand c’est bien fait, on sait qu’il s’agit d’un outil efficace pour donner un coup de fouet et faire apparaître un « écosystème » (malgré tout très dépendant des contrats étatiques) autour de l’agence. A voir comment cela pourra être géré en Inde, dont la bureaucratie est notoire et où les appels d’offre sur certains projets sensibles peuvent prendre des années. Il n’empêche que c’est à la demande des industriels, qui veulent plus d’autonomie et d’accès à leur propre secteur spatial, on devrait donc voir apparaître de nouveaux acteurs avec de nouvelles idées.
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