[Soleil] Le pouvoir de l’image…
A force de souvent les regarder dans le ciel de nuit, d’en étudier les signaux pour chercher des exoplanètes ou d’hésiter à savoir si oui ou non elles vont exploser (non, Betelgeuse est toujours là), on en oublie parfois qu’on a, à portée de main, une étoile qu’il est à la fois facile d’étudier et difficile de comprendre. En 60 ans, on a beaucoup cherché à déchiffrer les processus et la physique de sa « surface » et de sa corona. Ce qui a mené à des missions successives, et à la présence aujourd’hui des missions solaires Parker et Solar Orbiter. Je l’ai déjà écrit, mais à présent que l’on reçoit de nouveaux résultats, je peux l’affirmer : nous vivons l’âge d’or des missions héliophysiques.
Les « cousins » et leur sujet d’étude. Crédits ESA/NASA
Parker poursuit son parcours
Dans un silence tout relatif sur la mission, la sonde solaire Parker de la NASA, après avoir réussi son 5è survol du Soleil à la fin du printemps le 9 juin (elle est passée à moins de 20 millions de kilomètres de notre étoile), a une fois de plus survolé Venus ce 11 juillet. A 832 kilomètres de la surface, elle était bien plus haut que l’atmosphère de la « planète de l’enfer » mais il s’agit bien d’un survol destiné à un freinage gravitationnel… Il n’y a aucun droit à l’erreur, et la vitesse que la sonde a perdu est phénoménale. Assez pour abaisser son prochain périhélie de plus de 5,2 millions de kilomètres. Résultat le 27 septembre, la sonde la plus extrême jamais réalisée par la NASA passera encore plus près du Soleil, au sein même d’une zone que l’on sait maintenant être particulièrement active sur le plan magnétique (rendez-vous compte, presque deux fois plus proche que Mercure !), ou pour les particules énergétiques. Les recherches sur le Soleil se poursuivent (il reste plus de 4 ans de mission…) et tout fonctionne à merveille jusqu’à présent. En décembre dernier, de premiers articles étaient publiés dans Science et Nature, de quoi révolutionner notre compréhension des phénomènes physiques en cours dans la Corona, sur la physique des vents solaires et des particules chargées. En février 2020, un second lot était déjà publié, et depuis les scientifiques se préparent, car les données rassemblées lors des survols numéro 3 et 4 sont d’ores et déjà disponibles pour les laboratoires qui souhaitent les consulter. Présence de poussière originelle du Système Solaire, effet « lasso » des vents solaires, éruptions et variations intenses de champ magnétique, densité des particules suivant l’orbite solaire… Parker a encore beaucoup à nous apprendre !
https://www.clubic.com/mag/sciences/conquete-spatiale/actualite-878709-soleil-commence-reveler-secrets-sonde-parker.html
Un visuel de ce que peut être un « lasso magnétique ». Crédits NASA/GSFC
Pour le coup, il y a aussi de très bonnes nouvelles sur la mission en dehors de ses « plongeons » vers le Soleil. D’abord, la sonde Parker gère très bien sa mémoire, et la communication entre le véhicule et la Terre est très performante. Résultat direct, les équipes ont décidé de prolonger les campagnes de prises de mesure. Et pas qu’un peu! A l’origine, les campagnes de mesures intenses de la sonde devaient durer 11 jours par orbite. Mais grâce aux perfectionnements des équipes, à une bonne rotation des mesures et aux conditions d’échanges avec la Terre, la sonde solaire Parker a pu engranger près de 8 semaines de données au cours de son cinquième survol, du 9 mai au 27 juin.
Autre bonne nouvelle, c’est que finalement ce serait dommage de survoler Venus aussi bas et de ne pas tenter d’en tirer quelques enseignements. Eh bien les équipes scientifiques de la sonde ont pensé la même chose : plusieurs instruments ont été activés pour ce survol. L’idée est de pouvoir observer et mesurer avec précision la présence de poussière, de particules atmosphériques et de particules ionisées à l’approche de la planète-enfer. Un véritable défi, mais tout à fait à la portée de cette sonde dont les analyses in-situ sont la spécialité. Si l’expérience est concluante, elle sera répétée à plusieurs reprises, avec en ligne de mire une autre approche pour un freinage gravitationnel encore plus proche de la surface de Venus, prévu le 6 novembre 2024. Juste après (et durant toute l’année 2025), la sonde Parker fera ses dernières orbites, à moins que sa mission puisse être prolongée.
C’est très impressionnant… Mais c’est une vue d’artiste. Crédits NASA
Solar Orbiter commence sur les chapeaux de roues
Depuis son décollage le 10 février dernier (oui, vous aussi vous avez l’impression que plusieurs années se sont écoulées…), la mission à dominante européenne Solar Orbiter a eu du pain sur la planche. Celle que certains appellent SolO a commencé par une première période pour mettre en route ses instruments. Ce qui fut passablement long, car il ne s’agit pas « juste » d’envoyer une commande, mais de régler et d’étalonner les systèmes. Fin février 6 des 10 instruments étaient actifs. Le 5 mars, ce fut le tour de l’instrument EUI… Mais les 3 instruments restant durent attendre avril, à cause d’un choix d’opérer moins de missions à cause de l’évacuation du centre de contrôle de mission pour préserver la santé de ses employés. Le 23 avril l’instrument imageur PHI est confirmé opérationnel, puis l’imageur de corona, SPICE, le lendemain et le coronagraphe METIS la même semaine. Le 4 mai, la sonde devenait plus proche du Soleil que Venus, et durant ce mois, les équipes (quasiment toutes depuis leur domicile) ont réussi à tester correctement leurs instruments pour bien observer le Soleil. Il restait même un peu de marge avant le début de la « période de croisière » de la sonde (du 15 juin jusqu’à mars 2022) pour que les instruments de mesure in-situ mesurent le passage au sein de la « queue » de la comète ATLAS. Le 15 juin justement, le véhicule faisait son premier passage « proche » du Soleil, terminait officiellement la période de recette (ou de commissionnement, même si Airbus n’a terminé officiellement ses opérations que le 30 juin) et capturait une série de données du Soleil, observé à « seulement » 77 millions de kilomètres de distance. C’est beaucoup moins proche que la sonde Parker, mais pour la première fois, il y a à bord six instruments directement pointés sur notre étoile.
Etude poussée des lignes de champ magnétique sur la « surface » solaire. A une précision nouvelle… Crédits Solar Orbiter/PHI Team/ESA & NASA
Ces photos, pour une raison qui m’échappe un peu, n’ont été révélées au public que le 16 juillet. Mais enfin passons, parce que les images que l’on peut observer sont absolument fascinantes. Le reste de la « période de croisière », s’il est du même tenant avec des approches du Soleil tous les six mois environ, promet d’apporter son lot de surprises. Le fait est que d’observer le Soleil directement, deux fois plus près que n’importe quel instrument jusque là, apporte un niveau de précision inédit. Les 6 instruments d’observation à distance ont fonctionné comme prévu, et amené leur lots de réponses et de nouvelles questions. On relève notamment la présence, sur les photos et vidéos de l’instrument ultraviolet EUI, la présence de très nombreux « feux de camps » (campfires en anglais), qui loin d’être les gigantesques éruptions solaires font tout de même la taille d’un continent… Mais aussi pour les vents solaires, la présence de tempêtes magnétiques, l’étude détaillée des « spots » solaires et l’analyse comparée des différents instruments en même temps. Surtout, c’est prometteur pour l’avenir parce qu’il faut rappeler qu’un des buts de Solar Orbiter est de progressivement incliner son orbite pour observer les pôles solaires et les hautes latitudes, pour comprendre les processus en oeuvre qui ne sont pas visibles ou mesurables depuis la Terre. Ce début de mission en fanfare est de très bonne augure.
Ca calme, non ?
Ne jamais oublier que le public fait les missions !
Il ne faudrait pas oublier que nous avons une chance supplémentaire, à savoir que ces deux missions soient en cours au même moment. C’est une chance, d’autant que la NASA fait partie de l’aventure Solar Orbiter, on peut donc attendre des coopérations scientifiques sur les résultats des deux sondes en coopération (même s’il est probable que la NASA tire la couverture à elle et c’est bien dommage). Mais c’est le moment pour râler un peu sur la sonde Parker, qui a le souci majeur selon moi d’avoir, pour une mission qui a tout de même pris presque 20 ans de conception et un budget supérieur à 1.5 milliards de dollars hors lancement, aucun capteur optique directement dirigé vers le Soleil. Alors ne me faites pas dire le contraire, c’est extraordinairement difficile, à la distance à laquelle évolue la sonde (qui va frôler l’atmosphère extérieure du Soleil, pour ainsi dire), d’y mettre un capteur optique. Mais c’est en voyant les résultats, en observant les images et films, et en découvrant les « feux de camps » que SolO a généré un engouement public. Ce sont ces images, comme celles de SDO avant elles, qui parlent aux gens quand on tente de leur expliquer l’héliophysique et l’observation du Soleil. Il faudra donc trouver des éléments visuels, des modélisations quelconques ou tout simplement des rendus pour que le public puisse apprécier les retours scientifiques de ces missions à leur juste valeur. C’est très complexe aussi… Alors que Solar Orbiter peut faire « parler ses clichés ». Une occasion manquée, ou un pari délibéré, celui que l’héliophysique n’est de toutes façons pas « sexy » et n’a pas besoin de faire autant parler d’elle ?
Solar Orbiter prend tout son sens lorsque les résultats de ses instruments sont analysés en parallèle. Crédits Solar Orbiter/SPICE Team; SWA Team; EUI Team/ ESA & NASA
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