[NASA] Les premiers dividendes du Commercial Crew
Ils sont chez eux, à la maison. Doug Hurley et Bob Behnken, après une drôle de journée en capsule, puis en bateau, puis en hélicoptère, puis à pied, puis en voiture, puis en jet de la NASA ont atterri à Houstonet rejoint leurs familles. C’était la fin d’un vol d’essai prolongé de plus de deux mois, qui s’est terminé heureusement de la meilleure façon qui soit : capsule intacte et équipage en bonne santé. Le chronomètre est déjà démarré avant la prochaine mission, alors il ne faudra laisser aucune erreur de côté…
Un petit coup de peinture… Et ça repart ? Crédits NASA/B. Ingalls
DM-2 réussit son retour
On sentait que la NASA comme les équipes de SpaceX voulaient jouer, le plus possible, la prudence. De nombreux tests dans les derniers jours amarrés à l’ISS, d’autres essais après la fermeture des écoutilles, et puis un choix délicat du site d’amerrissage à cause de la saison des ouragans dans les caraïbes qui affecte beaucoup la Floride (et qui est en avance). L’ouragan Isaias (rétrogradé ensuite en tempête tropicale) restant sur la côte Est, les autorités ont décidé de choisir un site dans le Golfe du Mexique. Ce qui est, il faut bien l’avouer, bien pratique en comparaison d’un site d’atterrissage à terre ! Bref, tout le monde a pris des pincettes, y compris pour une trajectoire de retour en 18 heures, ce qui laissait un certain nombre d’orbites pour que Doug et Bob puissent se reposer avant leur amerrissage. Mais arrivé à un moment, il n’y a pas de mode « facile » pour rentrer dans l’atmosphère : il faut lancer la procédure de désorbitation, et espérer que tout se passe bien. Moins de 45 minutes avant leur amerrissage, la capsule Crew Dragon (baptisée Endeavour par les astronautes) s’est donc orientée avant de larguer son module de service, le « trunk » qui lui sert essentiellement pour la stabilité et pour quelques réservoirs, dont les ombilicaux sont coupés en même temps. Crew Dragon a ensuite encore tourné, pour se mettre nez en avant, et allumer ses propulseurs Draco pendant 11 minutes et 22 secondes, ce qui est très long mais tout à fait normal puisque ce sont simplement de petits propulseurs de manoeuvre. L’avantage, c’est qu’ils sont intégrés dans la capsule, ils seront donc réutilisés, car le nez est ensuite refermé et scellé pour la descente et la rentrée atmosphérique.
Pfout pfout, Crew Dragon s’en va doucement de la station. Crédits NASA/C. Cassidy
Crew Dragon, ensuite en chute libre, a traversée l’atmosphère comme prévu, avant d’ouvrir ses quatre parachutes (moi ça m’a paru long, mais c’était conforme à l’attendu) et de frapper l’eau gentiment. Les équipes sont arrivées par hors-bord quelques minutes plus tard, et la récupération elle-même a duré plus longtemps, puisqu’il faut hisser le véhicule à bord du navire de récupération et attendre que les dernières vapeurs des propulseurs d’attitude se dissipent avant de pouvoir ouvrir l’écoutille. L’essentiel est là : la démonstration est terminée et tout s’est très bien passé. Pour la NASA et SpaceX (comme pour les passagers) c’est une sacré bonne nouvelle, d’autant qu’elle ouvre la porte à un avenir très attendu. Mais surtout, c’est bien une mission de deux mois, et pas juste le retour qui s’est terminé là. Plus c’est long, plus il y a de données, plus l’agence et le constructeur vont pouvoir analyser. Les bugs dans l’O.S. de la capsule (il y a bien du y en avoir), les performances des panneaux, la régulation thermique interne et externe. Le jeu de la structure au cours des 1000 orbites autour de la Terre. La performance des propulseurs d’attitude avant amarrage et après 2 mois en orbite. Etc, etc. D’avoir rendu cette mission longue était un pari intéressant pour la NASA en même temps qu’une véritable mine d’or de données. Enfin, il n’y a pas eu de couac majeur, et les astronautes eux-mêmes dans leurs différentes interventions depuis leur retour racontent à qui veut l’entendre que la capsule s’est comportée exactement comme prévu.
Quelle image ! Crew Dragon a vite été rejointe par une véritable flottille de petits bateaux, dont les 9/10è qui n’avaient rien à faire là car ils passaient outre les avertissements des garde côtes. Crédits NASA/B. Ingalls
Les tests avec Crew Dragon, c’est terminé ! Starliner par contre…
Il aura donc fallu un peu plus de 5 ans pour en arriver là après l’attribution du contrat initial. Cela dit, c’est un peu le lot de tous les grands projets spatiaux, et le commercial crew ne fait pas exception. A tout le moins, on peut noter que selon le bureau des audits de la NASA, les coûts n’ont pas dérapé et ça, c’est déjà notable. Autre bonne nouvelle, lorsque les résultats de l’analyse des données de vol seront analysés et que la NASA finalisera son dossier, Crew Dragon sera certifiée. Elle sera d’ailleurs probablement en service avant sa certification puisque le prochain vol est prévu dans quelques semaines. C’est aussi une bonne nouvelle pour l’ISS : dès à présent, si pour une raison ou une autre Soyouz était coincée au sol (rigolez pas, ça pourrait arriver), il y aurait une autre solution pour « monter » sur la station (ou plus important encore, aller chercher des astronautes là-haut). Pour la station encore, l’introduction devrait changer à court terme la façon dont évoluent les équipages. Côté russe, il reste deux capsules intégrant des astronautes américains, après quoi il restera une (ou deux) place de libre selon la durée des missions. Ce qui devrait logiquement permettre d’envoyer des « touristes » ou des cosmonautes de pays partenaires de la Russie comme l’Inde, les Emirats Arabes Unis ou la Turquie. La Russie n’aura d’ailleurs aucun problème à revenir à 3 cosmonautes permanents courant 2021 après l’envoi du très attendu module scientifique Nauka (touchez du bois…). Et côté scientifique la productivité sera elle aussi améliorée puisqu’avec des équipages de 4 côté USOS, l’ISS accueillera 7 personnes par expédition, soit un astronaute/jour capable de faire des expériences scientifiques… Et n’allez pas croire que c’est anecdotique, il y a beaucoup de tâches d’apprentissage et maintenance, si bien qu’ajouter un(e) membre d’équipage augmente entre 33% et 50% le potentiel scientifique d’une mission !
Eh oui, les manips scientifiques, c’est délicat et parfois, ça prend deux plombes. Sauf que si vous devez changer un filtre de l’ISS puis discuter avec une classe à 11h ,faire du sport, prendre une photo de comète et faire des échantillons de muscle avant le goûter, il n’y a pas le temps. Crédits NASA
Pour SpaceX avec la NASA, tout n’est pas exactement terminé. En plus du bilan détaillé de la mission, il ne faudra pas baisser les bras et laisser passer des erreurs dans le contrôle qualité des futurs exemplaires… Ou fermer les yeux sur de potentiels défis lors de la réutilisation des capsules, ce que vient d’accepter l’agence américaine. Qui au départ, ne voulait pas entendre parler d’un véhicule qui amerrit et qui revole. La NASA, qui est entrée en mode « regardez tous comme on a réussi cette décennie de développement » ne doit sous aucun prétexte retomber dans le piège de la facilité. Sans quoi ce sera bon pour une nouvelle décennie à regarder les astronautes apprendre le russe et décoller de Baïkonour (ce qui à titre personnel ne me dérange pas plus que ça, mais les capsules du Commercial Crew font évoluer la technique comme la station, et donc je suis pour).
Mais… Et Boeing, dans cette histoire ? Forcément, l’entreprise n’en ressort pas grandie. La technique « on fait zéro communication » a ses limites : après le premier trimestre Boeing a effectivement réussi à se faire complètement oublier, et sa capsule Starliner avec. Je doute que la moitié des gens non informés du milieu spatial ait compris que la NASA avait misé sur deux capsules au lieu de juste « acheter une place » sur Crew Dragon. On m’opposera l’argument classique, que Boeing se fiche bien de sa réputation grand public, que ce n’est pas leur coeur de cible et qu’eux ont eu la vie plus difficile puisqu’ils n’avaient pas déjà un programme de capsule (fut-il cargo) avec la NASA. Certes. mais ils ont aussi touché 1,4 milliards de dollars en plus, et ce sans compter les 410 millions qu’ils vont payer de leur poche pour refaire un vol non habité vers l’ISS. Je ne pense pas que le programme Starliner soit sur la sellette, la NASA ayant à plusieurs reprises assuré qu’elle souhaitait avoir deux fournisseurs, mais si la capsule échoue à nouveau sa mission… Du coup, en retard, avec beaucoup de pression (y compris budgétaire), Boeing va probablement prendre du temps pour retenter le vol de sa capsule. Ce ne sera pas en septembre pour cause du calendrier Atlas V. Ce ne sera probablement pas en octobre non plus (priorité à Crew Dragon). Estimons nous heureux si ce deuxième test sans astronaute est une réussite avant la fin de l’année…
Ironiquement l’année prochaine c’est surtout les russes qui devraient beaucoup sortir de l’ISS. Attacher le module Nauka (s’il arrive un jour sur la station) devrait requérir jusqu’à 11 sorties ! Crédits NASA
L’agenda se précise pour l’année à venir… si tout va bien
Alors évidemment, tout cela est à prendre avec des pincettes. Si en arrivant à Hawthorne les ingénieurs de SpaceX découvrent une gigantesque fissure traversant le bas de la capsule Crew Dragon, il est évident que le vol suivant prendra un peu de retard. Pour autant, il n’y a pour l’instant aucune source d’inquiétude qui ait remonté aux oreilles du public. Eventuellement la température de la cabine au moment de la rentrée atmosphérique, compensée par un flux d’air froid dans les combinaisons : il faisait 29°C. Ce qui peut sembler beaucoup quand vous arrivez de plusieurs mois dans une canette de métal, mais qui est loin d’être extrême. Pour rappel, lorsque l’écoutille s’ouvre vous êtes au large de la Floride, et en cette saison il fait un bon 32°C des familles avec presque 100% d’humidité. Bref. Actuellement il est donc prévu d’avoir…
- Le vol USCV-1 avec quatre astronautes : Michaël Hopkins, Victor Glover, Shannon Walker et Soïchi Noguchi, prévu mi-septembre (mais prévoyez plutôt fin septembre – début octobre)
- Le vol OFT-2 sans aucun astronaute, prévu avant la fin de l’année (il faut suivre les arrivées d’Atlas V, il y a ensuite 5 semaines de préparation)
- Le vol USCV-2 avec quatre astronautes : Robert Kimbrough, Megan Mc Arthur, Akihiko Hoshide et bien sûr Thomas Pesquet, prévu en février-mars.
Pour le reste, on pourrait avoir si tout se passe bien avec la capsule Starliner et son prochain essai sans astronaute, le vol avec Christofer Ferguson, Michael Fincke et Nicole Mann d’ici le printemps prochain. Personnellement, je mettrai une petite option sur le mois de mai… Mais tout ça est encore loin, et il y a beaucoup à faire côté Boeing pour que ça fonctionne. Si un troisième vol de SpaceX a lieu d’ici l’automne prochain, il faudra compter sur l’astronaute allemand Matthias Maurer, dont l’ESA a déjà assuré le siège. Après, vous savez ce que c’est, tout peut bouger…
Avec des bottes spatiales comme celles-ci, moi j’ai plus besoin de faire de l’humour. Crédits NASA/B. Ingalls
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