[Europe] Des bâtons dans les roues
L’Europe des lanceurs, qui luttait déjà dans un contexte peu évident avant 2020, continue de souffrir en 2020. Pour Arianespace, non seulement les décollages ont été retardés (entre les clients, la météo et la disponibilité des fusées), mais la nouvelle génération n’a pas terminé son développement. En parallèle, l’incertitude continue de régner sur OneWeb, qui mobilisait beaucoup de moyens au début de l’année…
Vega décolle dans la nuit du 3 septembre. Crédits ESA/CNES/Arianespace/CSG/JM Guillon
Pour Vega : jouer la sécurité
S’il n’y avait eu le COVID, Avio (qui est le maître d’oeuvre du petit lanceur Vega) prévoyait quatre décollages de la plus petite des fusées opérationnelles européennes. Trois avec Vega dans le cadre du retour au vol et au rythme « normal » des opérations, et un dernier pour inaugurer la nouvelle version plus puissante, Vega C. Malheureusement, tout est parti un peu de travers à partir de début mars, lorsque les opérations pour préparer le lanceur dans les derniers jours ont dû être complètement stoppées pour évacuer le Centre Spatial Guyanais. Le retour fut long, avec une « quatorzaine » d’attente pour les techniciens et ingénieurs lors de leur atterrissage en Guyane. Résultat, impossible de viser une date avant le 15 juin… Puis la météo s’y est mise avec une impressionnante série de retards. Flûte ! Tant pis, on redémarre de zéro. Et finalement, ce fut pour le mieux. Non seulement Vega a réussi son décollage au milieu de la nuit le 2 septembre, et effacé (sans l’oublier) la catastrophe du vol VV-15 le 15 juillet 2019, mais en plus elle a validé la nouvelle plateforme SSMS qui a permis d’emmener 53 satellites (ou 65, tout dépend comment vous comptez). SSMS, c’était un vol important à moyen terme, pour rester concurrentiels vis à vis d’autres lanceurs comme Soyouz, comme les plus petits lanceurs du NewSpace ou les indiens avec leur PSLV. Une plateforme souple sur laquelle les européens peuvent proposer à peu près tous les formats de satellites jusqu’à 200 kg, c’est intelligent, et ça a très bien marché. Espérons que ça séduise les clients à venir.
Sans doute l’un des assemblages satellitaires les plus hétéroclites jamais lancé. Crédits ESA/CNES/Arianespace/CSG/JM Guillon
Malgré tout, la crise liée au COVID-19 n’est pas terminée. Du coup, ça n’est pas vraiment comme si les Vega pouvaient s’enchaîner dans le portique d’assemblage. Avio a fait face à des défis logistiques, des retards de ses fournisseurs et bien sûr des absences et contraintes en interne. Résultat, il n’y aura (si tout se passe bien) qu’un seul autre décollage pour Vega cette année (avec le duo SEOSAT-Ingenio/Taranis). Une fusée qui a mis plus d’un an à revenir sur le devant de la scène, c’est crispant aussi, il y aura beaucoup de vérifications et tout le monde voudra être sûrs que les leçons ont été définitivement apprises pour que Vega puisse redevenir un fleuron de fiabilité. Un échec sur 16 tirs, ça n’est pas totalement idéal mais si les décollages retrouvent leur rythme de croisière la confiance reviendra vite. Est-ce que ce sera pour 2021 ? Il faut l’espérer. Malgré tout, il y a aussi le retard de Vega C, qui est pris dans un « jeu de quilles » avec le développement retardé d’Ariane 6. Le petit lanceur et sa nouvelle capacité de 2.2 tonnes est censé être le prochain à entrer en service, mais visiblement Avio tient à faire passer ses clients actuels en priorité, et a annoncé que le vol inaugural n’aurait pas lieu avant « au moins la mi-2021 ». Soit presque un an de retard supplémentaire, pour une fusée qui a la ministérielle de 2014 devait décoller « avant fin 2018″… Espérons que toutes ces sécurités et ce temps de développement seront bien investis.
Vega C quand elle sera là, marchera même sur les plate-bandes de Soyouz. Mais quand ? Crédits ESA/CNES/Arianespace/CSG/JM Guillon
Ariane joue une partition compliquée…
C’est un petit paradoxe : le lanceur sur lequel Arianespace peut toujours compter est aussi celui qui doit voler de moins en moins. Car Ariane 5 et sa liste de clients bien établie, doit céder sa place à Ariane 6 avant 2023. Reste que la transition n’est pas de tout repos, notamment parce qu’il manque toujours Ariane 6 et que la chaîne d’approvisionnement fait face au COVID. Ca n’empêche pas de nouveaux progrès sur les derniers modèles, comme une nouvelle pièce d’adaptation des satellites sur le lanceur (un cône case VEB-H pour ceux que ça intéresse) autorisant un gain de charge utile de 85 kg, une coiffe légèrement modifiée en vue du vol du télescope JWST de l’année prochaine, et un nouveau calculateur automatisé de la position en vol pour le système de sauvegarde. Comme quoi il ne faut jamais dire qu’un lanceur est « totalement figé »… Même à quelques encablures de la retraite (et oui je sais, j’ai moi-même émis cette remarque à propos d’Ariane 5 par le passé). VA-253 a décollé le 15 août et a marqué un nouveau succès, le troisième vol d’Ariane 5 en 2020. Y en aura-t-il un quatrième ? Rien n’est moins sûr. Selon le calendrier prévisionnel de l’agence allemande DLR, le vol suivant est reporté à janvier, mais selon d’autres remarques au Centre Spatial Guyanais, les équipes visent toujours la mi-décembre. Côté public, nous n’aurons la réponse que mi-fin novembre, en observant l’arrivée ou non des deux satellites concernés par le lancement, à savoir Star One D2, et le satellite Quantum d’Eutelsat.
Youpi, tralala, c’est Ariane 5 VA253. Dommage qu’on voie « la favorite » moins souvent… crédits ESA/CNES/Arianespace/CSG
La baisse de rythme est déjà sensible : Arianespace était capable de faire décoller 7 fois Ariane 5 chaque année, avec des marges sur les campagnes de tir. Mais on sent que le rythme de transition est déjà engagé. Dans la ligne de production aussi d’ailleurs, puisque chez ArianeGroup, une partie des équipes prépare le premier étage d’Ariane 6, celui qui servira pour les tests « finaux » sur le site guyanais. Depuis l’annonce du report au « second semestre 2021 » peu d’informations ont pu sortir du cadenassage de l’entreprise, à part une communication ces derniers jours sur les essais (réussis) du premier moteur Vulcain 2.1 de série à Vernon, avant son transfert pour montage, justement, sur l’étage. Que d’espoirs douchés depuis la fin de l’année dernière ! Voilà que l’on se retrouve après le mois d’août avec un fin d’année sans Ariane 6 et peut-être même sans Ariane 5… A défaut, il faudra espérer un (ou plusieurs) nouveaux contrats d’ailleurs pour notre lanceur, qui n’a pu bénéficier comme ses concurrents américains, de commandes suite à une subvention gouvernementale sur les satellites pour libérer des fréquences à la 5G.
EDIT : juste avant publication, j’apprends avec joie qu’Intelsat a décidé de signer pour 3 satellites avec Arianespace ! Un duo sur Ariane 5 en 2022 (l’un des tout derniers tirs) et un satellite sur Ariane 6 début 2023. Bravo !
Togetherness! With @Intelsat’s new launch services contract, we’ll be launching its Galaxy 35 and Galaxy 36 satellites as a stacked pair on #Ariane5 in 2022. This will be followed in 2023 by Galaxy 37, to be orbited on #Ariane6. pic.twitter.com/x3IVohuwiD
— Arianespace (@Arianespace) 17 septembre 2020
Ouéééé!
OneWeb, reprise des vols cet hiver ?
C’est l’autre grosse inconnue. Il y a six mois que OneWeb a fait faillite, et même si l’entreprise a annoncé au mois de juillet sa reprise par le gouvernement anglais associé à l’entreprise indienne Bharti Global, le changement de gouvernance prend du temps, ainsi que peut-être les orientations de l’entreprise. Pour Arianespace, qui opère les décollages de Soyouz depuis la Guyane (2019) et surtout en Russie (2 décollages début 2020) il y avait près d’une dizaine de tirs prévus cette année, avec chacun 34 satellites sous la coiffe. De quoi mettre en place la constellation de OneWeb et assurer un service initial sur les régions polaires dès l’hiver 2020-21… Bon, tout ça a été rangé dans les cartons. Seuls 6 satellites sont en place, les 68 autres n’ont pas ou quasiment pas changé leur orbite pour atteindre leur altitude opérationnelle (comprenez, si on leur ordonnait de bouger maintenant, ils seraient en place fin novembre). Et les lancements ? On ne sait pas. Publiquement, tout est toujours à l’arrêt. Pourtant, il y a de nombreux échos notamment en Russie, sur la possibilité d’un décollage de Soyouz avant la fin de l’année 2020, depuis Baïkonour ou Vostotchnyi. Etant donné que les lanceurs ont été construits pour ça, il ne faut pas douter de la capacité russe : avec le feu vert ils pourraient tout à fait envoyer une ou même plusieurs grappes de satellites en étant très réactifs.
Et c’est pas le tout de les amener en orbite, faudrait encore s’en servir… Crédits OneWeb Satellites
L’affaire se joue donc en Floride, sur le site de production des satellites OneWeb. La communication joue le chaud et le froid, et pour être honnête avec vous on ne sait pas trop si la production a repris (je le pense… compte tenu des offres d’emploi présentes cet été), et si oui à quel rythme. Avant la faillite, ça se jouait à environ un satellite par jour, ce qui fait par ailleurs l’objet d’un documentaire de National Geographic qui devrait sortir ces jours prochains. La réponse arrivera comme pour Ariane environ un mois avant le décollage, qu’il ait lieu de Baïkonour ou de Vostotchnyi, puisqu’il faudra bien amener les satellites sur place, ce qui nécessitera le voyage dans un gros avion cargo, typiquement l’un des AN-124 que l’on peut difficilement « cacher » au public. Patience, donc, les réponses arriveront au cours des mois à venir.
Pour Arianespace quoi qu’il arrive, le prochain décollage de Soyouz est prévu dans un mois, avec le satellite Falcon Eye 2, depuis le Centre Spatial Guyanais.
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La Russie n’était vraiment pas intérréssé de prendre un ticket dans OneWeb (après la faillite) ? C’est un client potentiellement non-négligeable pour leurs lanceurs et potentiellement stratégique (même si assis sur le siège à coté des UK, il pouvait y avoir des divergence de vues). Il n’empêche qu’avec leurs ressources pétrolières et de gaz (dont, certe, les cours sont un peu bas aujourd’hui mais bon) ainsi que la forte présence de l’état Russe, il aurait surement pu débloquer un petit chèque ?
Non la Russie voit d’un bon oeil OneWeb mais uniquement côté lanceurs. Il me semble qu’ils n’ont même jamais autorisé l’infrastructure au sol pour communiquer avec les satellites (attribution des fréquences) car ça restait un projet géré par des américains et européens.
En plus la Russie prépare sa constellation publique Sfera, qui vise aussi à connecter les territoires (mais pas que).
Enfin, oui, il faut du temps pour produire une Ariane 5, environ 2 ans tout compris (et une campagne de 5 à 6 semaines à Kourou), en sachant que pour économiser les européens lancent des commandes importantes. La toute dernière commande de 10 Ariane 5 remonte, si je me souviens bien, à début 2019.
Et pour info, il faut longtemps pour fabriquer une Ariane 5 ? Ce sera différent pour n°6 ? Par ce que j’ai l’impression (peut-être trompeuse mais bon) que pour la F9, ils leur suffit de claquer des doigts et il y en a une de dispo dans la journée.
Il faut dire que SpaceX en a 5 en stock qui ont déjà volé, plus les 2 boosters de la Falcon Heavy.