[ULA] Lauréat mais fragile ?
United Launch Alliance, c’est le grand opérateur de fusée américain incarnant les lanceurs « classiques ». C’est aussi une cible privilégiée des critiques d’Elon Musk pour ses coûts et ses subventions (à présent amplement partagées avec SpaceX), et l’entreprise incarne régulièrement le secteur « traditionnel » par opposition au NewSpace. ULA, c’est la fiabilité, le « premium » et la souplesse de lanceurs à la puissance ajustable à la charge utile. Bref, du sûr, et sur-mesure. Mais à faire du cousu main, il y a quelques risques, sans compter que l’entreprise doit encore faire un grand pas dans l’inconnu en terminant son changement de flotte l’année prochaine.
Elle est si belle, quand elle ne sera plus en activité elle va vraiment me manquer ! Crédits ULA
L’été en or d’United Launch Alliance
La joint-venture entre Boeing et Lockheed Martin a passé des semaines bien agréables. D’abord, il y a eu cette sélection au service de la défense américaine avec SpaceX, dont ULA se taille toutefois la part du lion (60%, il fallait un gagnant). De quoi voire venir jusqu’à 2028 et asseoir les projets de l’entreprise pour presque une décennie. Mais ULA ne compte pas que sur la défense américaine, elle a taillé ses lettres de noblesse avec des missions NASA, dont toutes les dernières aventures martiennes et interplanétaires (y compris OSIRIS-REx, New Horizons ou Parker Solar Probe). Mieux, ULA est aussi le partenaire de choix pour toutes les entreprises « non SpaceX » qui souhaitent envoyer des charges utiles en orbite avant l’entrée en jeu de Blue Origin. ULA envoie donc les capsules Starliner, peut envoyer les cargos Cygnus, la navette X-37B, la navette DreamChaser, de quoi alimenter des missions vers l’orbite basse durant toute la décennie à venir puisque visiblement l’ISS ne sera pas à la retraite en 2025. De toutes façons, ULA est aussi « placée » pour plusieurs contrats lunaires, dont le futur et très lucratif HLS, le véhicule qui embarquera des américains poser le pied sur la Lune. Le gouvernement américain refuse et c’est bien compréhensible de n’utiliser qu’un seul opérateur de fusée, et ULA est le plus fiable actuellement, donc payer un « premium » avec les lanceurs de ULA n’est pas si handicapant au regard de la valeur des missions.
Le décollage de Perseverance. Celui-là aussi était signé ULA. Crédits ULA
Il y a même encore plus réjouissant pour l’entreprise, qui engrange des contrats commerciaux. Il y en a un premier avec Astrobotic prévu pour le décollage inaugural de Vulcan, mais cet été United Launch Alliance en a gagné un second avec l’opérateur de satellites SES. Bien entendu, ce n’était pas une compétition ouverte au monde entier. Dans un mécanisme de répartition, le gouvernement américain va distribuer plusieurs milliards à des opérateurs de satellites pour qu’ils vendent les bandes de fréquences lorgnées par la 5G au-dessus du territoire américain pour éviter toute interférence. Résultat, ces derniers ont du dépenser leurs enveloppes… aux USA. Les constructeurs de satellites ont déjà fait la fiesta à la fin du printemps avec ces annonces : des satellites pour Boeing et Northrop Grumman bienvenus en temps de crise ! SpaceX a décroché de nouveaux contrats de lancement, mais cette fois ils ne sont pas les seuls, puisque l’une des dernières Atlas V enverra une paire de satellites de Boeing vers l’orbite GTO en 2022. De l’art de subventionner son secteur spatial efficacement…
Essai réussi de nouveau booster chez Northrop Grumman. Atlas 5 devrait en bénéficier prochainement, et Vulcan les avoir de série (en version XL). Crédits NG
Delta IV Heavy tousse un peu…
Reste qu’on a beau se poser en acteur le plus stable, le plus fiable et le plus précis dans ses campagnes de tir, il s’agirait de ne pas les rater. Les deux lanceurs qui sont actuellement en exploitation chez ULA (Delta IV Heavy et Atlas V) sont donc constamment surveillés, sondés, inspectés… Et au moindre doute, on annule. Mais ça n’empêche pas d’autres systèmes de sécurité de se déclencher ! Le 26 août, le lanceur lourd Delta IV Heavy devait envoyer le grand satellite NROL-44 en orbite depuis Cape Canaveral (ce dernier n’est pas identifié mais c’est probablement un « sniffeur de signaux électroniques »). Le décollage fut reporté au 29 pour cause de mauvaise météo, après quoi le compte à rebours s’est déroulé presque normalement. Presque, parce que d’abord un capteur a signalé des températures inférieures à la normale sur un étage de la fusée, ce qui n’est pas acceptable. Mais surtout environ une heure plus tard quand les équipes ont pu remettre le couvert à la fin de la fenêtre de tir, on a bien cru que Delta IV Heavy allait décoller… Et puis non. Les flammes sont bien sorties, désorganisées, des tuyères juste avant que les moteurs ne s’allument créant le « barbecue » habituel qui vient brûler les flancs de la fusée orange, mais le lanceur ne s’est pas élancé de son pas de tir. Au contraire, les équipes d’ULA ont rapidement déclenché toutes les procédures pour sauvegarder la fusée et sa précieuse charge utile.
Même un peu grillée, elle est belle (même si la photo a été prise avant). Crédits ULA
Il y aura au moins une grosse semaine avant la prochaine tentative, ce qui est normal puisqu’il faut changer quelques pièces sur le premier étage du lanceur (les moteurs ne sont pas faits pour être rallumés, espérons que leurs tuyères ablatives ne soient pas abîmées) mais surtout chez ULA, ils ont eu chaud. Le compte à rebours a été officiellement stoppé à 3 secondes du décollage, mais visuellement il ne manquait vraiment pas grand chose pour qu’elle décolle. C’est le pas de tir qui visiblement a décidé que quelque chose n’allait pas, générant l’annulation du vol et ce nouveau délai. Bon, c’était un petit hoquet, tout va revenir à la normale… Mais ces reports multiples, ces petits défauts techniques, ces annulations de dernière minute sont un peu devenues la norme avec Delta IV Heavy, qui décolle très peu régulièrement et donc est sujette à toute une cascade de petites alarmes. Attention avant sa mise à la retraite à ce qu’une campagne ne mène pas à trouver un défaut juste APRES le décollage. Cela condamnerait le lanceur et minerait beaucoup la réputation sans tache d’United Launch Alliance.
Système de déluge installé sur le pas de tir LC-41, qui sera le premier à accueillir à la fois Atlas V et Vulcan. Crédits ULA/T. Bruno
Vulcan sur l’établi
Le futur lanceur « à tout faire » de ULA devrait entrer en service d’ici la fin du printemps prochain, avec un ambitieux décollage directement pour la Lune (il devrait propulser l’atterrisseur Peregrine d’Astrobotic). Pas évident de mettre en service un nouveau lanceur quand l’actuel est le plus fiable du marché (Atlas V). Alors ses différents éléments sont testés, soit en orbite pour ceux qui peuvent être emportés par Atlas V, soit au sol pour ceux qui devront attendre le nouveau lanceur. Les tests structurels se déroulent bien, en Alabama à Decatur. Les coiffes seront produites aux Etats-Unis, mais par Ruag, qui a déjà testé les innovations de ces dernières sur d’autres fusées et livré des exemplaires de tests depuis la Suisse. Les boosters GEM-63 XL de Northrop Grumman ont été testés au sol (dans leurs différentes versions) et donnent aussi satisfaction. Non, c’est plutôt une bonne nouvelle, malgré la discrétion de l’entreprise sur son développement, les échos de Vulcan sont déjà positifs… A l’exception des moteurs. ULA a notamment révélé que les moteurs BE-4 étaient toujours en essais au banc, et qu’il restait quelques goulots d’étranglement dans la phase finale du développement. Il n’empêche que le tout premier lot a été livré chez ULA pour une intégration test et des essais structurels, que ce soit en Alabama, sur la route ou à Cape Canaveral.
Vulcan – navette. Je suis curieux de voir ça ! Crédits ULA
Il ne faudra pas trop tarder avec les BE-4 (chaque Vulcan en utilise 2) et ne rien sacrifier à la fiabilité, car comme on l’explique plus haut, elle est une valeur cardinale pour l’entreprise. Au moindre faux pas, les faucons de la politique comme ceux de SpaceX leurs tomberont sur le cou. Difficile dans ce cadre de démarrer une future carrière de 7 à 10 ans sereinement et sans stress… Les enjeux autour de Vulcan sont terriblement élevés actuellement, et un premier vol raté ferait beaucoup de mal à United Launch Alliance, qui prépare cet événement depuis 2015. Or quand l’erreur est interdite, on prend souvent du retard. En tout cas, on espère en savoir rapidement plus sur la phase finale du développement d’ici la fin de l’année, qui devrait permettre d’y voir plus clair !
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