[Chine] Kuaizhou vs CZ-11, le match fou
La Chine, qui sera vraisemblablement sur la première (ou la deuxième) marche du podium en nombre de lancements orbitaux cette année encore, se paie le luxe d’avoir une guerre d’influence entre ses deux constructeurs majeurs. La CASIC et la CALT se livrent bataille pour le juteux marché des petits satellites à envoyer en orbite basse… Avec le plus d’options possibles. Après plusieurs passes d’armes, et malgré une cadence de tir inférieure, il semble que la Chang-Zheng 11 tienne une petite avance !
Kuaizhou-1A et Kuaizhou-11 en présentation au Bourget 2019. Crédits Eric Bottlaender
CZ-11 et Kuaizhou, les cousins ennemis
C’est la grande lutte d’influence au sein des constructeurs de fusée chinois. Il y a la CALT, qui travaille traditionnellement pour la famille Chang Zheng (ou Longue Marche) qui propose via son centre de recherche appliqué à la propulsion solide, la CZ-11. Elle a tout du missile. Ses étages sont produits à l’avance et peuvent être produits à l’avance et le lanceur peut être stocké sur sa plateforme camion durant une période indéterminée. Sous un préavis très court, il est possible de lui installer une coiffe (1,6 ou 2m de diamètre) et avec les bons paramètres il suffit de mettre tout ce petit monde à la verticale, de courir se mettre à l’abri et de laisser le compte à rebours s’occuper du reste. Avec 3 étages solides et la possibilité d’en rajouter un quatrième à propulsion liquide pour une éjection de satellite sur des orbites spécifiques, la fusée dispose d’une capacité maximale de 700 kg en orbite basse, et d’environ 380 kg en orbite polaire héliosynchrone. Mise en service en 2015, elle est mise en service par le conglomérat étatique et a décollé 10 fois. On la reconnait d’ailleurs facilement, puisqu’elle sort d’un silo à l’aide d’un système d’éjection et n’allume son moteur principal qu’une fois qu’elle est sortie du tube. Cela donne des décollages spectaculaires !
Ce n’est pas très beau ce chou-fleur, mais c’est efficace. Crédits CALT
En face, il y a Kuaizhou, qui est issue d’un institut concurrent, la CASIC (plus gros producteur de missiles balistiques en Chine). Elle non plus ne renie pas sa parenté, avec des caractéristiques similaires à sa rivale : trois étages à propulsion solide, un décollage à la verticale depuis un camion de transport, des capacités de stockage et de la souplesse opérationnelle. On la reconnait également assez facilement, parce qu’elle dispose d’une livrée spéciale aux couleurs d’ExPace, la « spin-off » qui l’assemble, l’opère et la commercialise. Kuaizhou ne décolle pas grâce à un silo, mais assure sa stabilité dans les premières phases de vol grâce à quatre grilles de stabilisation à la base du lanceur. Ce lanceur a une carrière plus éclatée : elle démarre en 2013, mais c’est alors la version « Kuaizhou ». Celle qui est opérée par ExPace et décolle le plus souvent est Kuaizhou-1A, plus petite avec une coiffe d’un moindre diamètre. Même si elle ne peut emmener que 200 kg en orbite polaire héliosynchrone, ce qui nécessite l’emploi d’un tout petit étage à ergols liquides, elle a aussi décollé 10 fois depuis 2017. Une version beaucoup plus lourde et imposante a décollé (dans un secret tout relatif) le 10 juillet, mais n’a pas réussi son coup. Cette grande amélioration s’appelle Kuaizhou-11.
Kuaizhou-1A dans ses oeuvres. Crédits ExPace
Kuaizhou a marqué des points, mais…
Avec une meilleure cadence de lancement, Kuaizhou semblait être sur la meilleure pente des deux concurrentes. Le petit lanceur est efficacement opéré par ExPace, garde la puissance d’un groupe industriel comme la CASIC pour assurer les cadences tout en réussissant à séduire des clients en Chine pour de grands nombres de petits satellites. De quoi attirer en second volet les intérêts étatiques en fonction du potentiel du lanceur… Qui évidemment lorgne sur ce marché. Kuaizhou était à l’origine toujours lancée depuis le site de Jiuquan, mais le 7 décembre dernier ExPace a réussi une prouesse depuis le site de Taiyuan, en faisant décoller deux exemplaires de son petit lanceur depuis des plateformes mobiles à seulement six heures d’écart. Un véritable tour de force, qui laissait penser qu’entre sa fiabilité et sa souplesse d’emploi, elle allait remporter plus de marchés que CZ-11. Le positionnement « façon NewSpace » (même si l’entreprise est adossée à un gigantesque industriel) fait mouche facilement… d’autant que par comparaison aux autres acteurs du secteur NewSpace en Chine, Kuaizhou vole, et régulièrement. ExPace devait réussir une nouvelle démonstration ce mois de septembre, mais malheureusement l’entreprise passe une très mauvaise année. Après l’échec lors du décollage inaugural de Kuaizhou-11 cet été, c’est la première Kuaizhou-1A d’un trio qui devait décoller de Jiuquan avec très peu d’écart qui rate son vol. Les lanceurs embarquaient tous des satellites pour le compte de l’opérateur Jilin, identiques, et auraient pu selon certaines sources décoller à quelques heures les unes des autres, voire à quelques jours (le secret n’a pas été éventé). Evidemment, l’échec du premier des trois a mis l’ensemble de la campagne en pause. Car soudain, Kuaizhou-1A redevient un lanceur qui peut échouer…
Kuaizhou-1A à Taiyuan. Notez qu’on ne voit jamais vraiment le camion. Crédits ExPace via Weibo
CZ-11, plus souple d’emploi ?
Déjà, puisque la dernière Kuaizhou s’est plantée, il est légitime de dire qu’avec le même nombre de vols et grosso-modo les mêmes capacités, CZ-11 a pour elle l’avantage de la fiabilité pour l’instant. Cela étant dit, le lanceur n’a pas autant de succès que son cousin : il en décolle une à trois par an, et c’est soit pour le gouvernement chinois, soit pour la constellation d’observation Jilin. CZ-11 n’a pas tenté de « combo » de décollages comme Kuaizhou, mais ne s’est pas contenté de son unique site initial pour les décollages à Jiuquan. CZ-11 a en effet décollé ce mois de mai depuis la base de Xichang, le berceau des lanceurs GTO chinois. Mais ça, c’est sur terre. Oui, il faut préciser… Car CZ-11 a la caractéristique bien particulière d’avoir décollé par deux fois de plateformes maritimes. La première fois le 5 juin 2019 depuis une très impressionnante barge, sur laquelle son camion porteur était plus ou moins camouflé mais bien présent. La deuxième, depuis un bateau spécial (que certains appellent une plateforme, mais… c’est un bateau) nommé le De Bo 3. 2020, c’est donc l’année de la maturité pour CZ-11, qui démontre efficacement qu’elle peut être projetée d’un peu partout, prendre le bateau pour décoller depuis la mer jaune, mais aussi partir de sites plus au Sud comme Xichang (et qui sait plus tard, depuis ailleurs sur l’océan).
Le De Bo 3 avec CZ-11. Crédits inconnus via Weibo. Notez en arrière plan le bâtiment au toit bleu qui accueille l’assemblage de la fusée.
Il n’est donc pas si surprenant dans ce contexte de voir que l’état chinois a pré-sélectionné CZ-11 en ce début octobre pour de nouveaux tests en vue de le nommer officiellement comme un lanceur « à réaction rapide » au service de l’Armée Populaire de Libération. Si CZ-11 finit par intégrer cette catégorie bien spécifique, c’est le jackpot pour les équipes en charge de la production : les militaires tiendront à en avoir un stock toujours prêt pour leurs petits satellites d’observation et/ou d’intervention. Cela pourrait aller jusqu’à une dizaine voire plus de lanceurs sous cocon, prêts à être amenés sur leur camion avec l’intégration de la charge utile (standardisée) en quelques heures à peine. Bien entendu, ils ne décolleraient pas tous en même temps, mais à la demande dans le cas d’une situation d’urgence (par extension, sans doute un conflit de haute intensité). CZ-11 pourrait bien devenir ainsi un lanceur jalousé par… Les Etats-Unis ! Pour rappel, la DARPA a multiplié ces dernières décennies les initiatives pour disposer de cette même capacité pour de faibles coûts. Astra avait même échoué au début de l’année à décoller deux fois en un mois vers l’orbite basse depuis des sites différents. On voit mal ce qui empêcherait CZ-11 de répondre aux mêmes défis avec succès ! A suivre…
Le seul lanceur maritime en exploitation aujourd’hui. Crédits CALT
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