[ISS] Coups d’accélérateurs
Sous l’impulsion du contrat « Commercial Crew » qui distribue en 2020 ses premiers dividendes, les perspectives de voyage vers l’ISS évoluent. Mais ça ne vaut pas que pour les astronautes, puisqu’après l’annonce l’année dernière du directeur de la NASA annonçant que la station était « Open for business » génère de premiers contrats… Inattendus. L’ISS est peut-être une vieille dame, qui va fêter ses 20 ans d’occupation dans six semaines. Mais elle est toujours dynamique.
L’un de ses 16 levers de Soleil chaque jour. Une chose est sûre, elle continuera de faire rêver. Crédits Roscosmos/Ivan Vagner
7 astronautes se préparent pour le mois qui vient
Ce dimanche 27 septembre, les deux nouveaux avions de Roscosmos (en service depuis l’année dernière seulement) ont été utilisés pour transférer Sergei Ryzhikov, Sergei Kud-Sverchkov et Kate Rubins (USA) ainsi que leurs doublures à Baïkonour. Une arrivée sans fanfare ni trop de visites, crise du Covid oblige, mais avec tout de même les étapes protocolaires avant de se mettre au travail. C’est qu’il ne reste qu’à peine plus de deux semaines avant leur décollage le 14 octobre au sein de Soyouz MS-17 ! L’équipage a profité de ce lundi 28 pour rentrer pour la première fois dans « leur » capsule qui leur est pourtant déjà familière, étant donné qu’ils ont potassé les commandes et les scénarios de vol depuis de nombreuses semaines. Les trois astronautes sont dans la dernière ligne droite, et il leur faut essentiellement se reposer, passer les derniers examens médicaux et se préparer pour le vol. Ils n’ont d’ailleurs eu qu’une seule après-midi avec « leur » capsule avant qu’elle ne soit basculée à l’horizontale puis mise sous coiffe. Cette année est un peu particulière, même pour Soyouz, puisqu’il s’agira du second et dernier vol russe habité pour cette année : l’utilisation anticipée des capsules américaines et le manque de besoins russes puisque le module scientifique Nauka n’est pas encore prêt se font sentir. En compensation (!?) les astronautes dans le véhicule auront peut-être droit à un voyage extraordinaire, à savoir la plus courte liaison entre la Terre et l’ISS pour une mission habitée, en seulement deux orbites. Côté expérience, ce sera le premier décollage de Sergei Kud-Sverchkov, et le deuxième vol pour ses camarades.
L’équipage de Soyouz MS-17 à l’entrainement à Baïkonour. Crédits Roscosmos
Mais le gros avantage à disposer maintenant de plusieurs véhicules qui vont et viennent vers l’orbite, c’est qu’il est possible d’organiser plusieurs campagnes de vol en parallèle ! Ainsi donc c’est un groupe de quatre qui s’entraîne actuellement à Houston pour le prochain décollage de Crew Dragon, pour la mission Crew-1 : les américains Shannon Walker (2è vol), Michael Hopkins (2è vol) et Victor Glover (1er vol), ainsi que le japonais Soichi Noguchi. Ce dernier en sera d’ailleurs à son troisième vol… avec 3 véhicules différents entre la navette Discovery, Soyouz et Crew Dragon ! L’équipage devrait décoller le 31 octobre avant de s’amarrer à la station et de démarrer une rotation longue de cinq mois environ. Ce sera la première fois que la station accueille 7 astronautes pour une longue durée, de quoi maximiser le retour scientifique selon la NASA, avec une augmentation drastique du nombre d’expériences qui vont être réalisées. Ce qui tombe assez bien car la période sera faste : décollages et départs de véhicules cargos, sorties en orbite et les fêtes de Noël, sans compter une petite commémoration pour les 20 ans d’occupation continue de la station. Les quatre astronautes qui sont officiellement prêts pour leur vol mais toujours à Houston entreront en quarantaine un peu avant le 10 octobre, et rejoindront la Floride quelques jours avant la date prévue pour leur décollage. La capsule, baptisée « Resilience » est déjà sur place.
Les 4 passagers au sein d’une capsule Crew Dragon à l’entrainement. Visiblement très très contents ! Crédits NASA
Un programme alléchant pour 2021… Avec Tom Cruise
Tout vient à point à qui sait attendre. Et dites-moi, on aura attendu. Toutefois, il semble que tout arrive plus ou moins en même temps ou dans un délai relativement court. Dans la semaine qui précédera son décollage en octobre, la capsule Crew Dragon devrait être officiellement certifiée par la NASA, ce qui signifie qu’elle sera en service et que SpaceX rentre dans une phase uniquement dédiée aux opérations. C’est le grand succès du « Commercial Crew », même si Boeing est encore très loin du même but avec Starliner, qui ne décollera pas pour son deuxième test non habité avant le mois de janvier 2021. Si ce test réussit, alors 2021 a le potentiel pour devenir franchement sympathique sur le plan des équipages. Si l’on en croit les agendas prévisionnels, le premier vol habité de Starliner pourrait avoir lieu dès le mois d’avril-mai, et la première mission avec certification à la fin de l’année… Même si je trouve personnellement que c’est trop optimiste pour le moment. Côté russe, il y aura du mouvement avec l’arrivée prévue du tant attendu module Nauka, qui pourrait engendrer le fameux retour des équipages à 3 russes. Et fin 2021, le retour des touristes ? Il semble que oui. Tom Cruise et son réalisateur Doug Liman (qui a dirigé « Edge of Tomorrow ») devraient décoller avec du matériel de tournage, peut-être un autre passager et le responsable de la capsule, l’astronaute ex-NASA Michael Lopez-Alegria au sein de Crew Dragon, qui volera pour le compte d’Axiom Space (lesquels « louent » la capsule). La Russie a répliqué en annonçant son propre vol de Soyouz avec un acteur et un réalisateur, à moins que j’ai mal compris, car les annonces se sont télescopées le même jour.
Non Tom, tu n’attaqueras pas le Soyouz ! Crédits Roscosmos
On devrait donc avoir droit à un véritable festival astronautique dès l’année prochaine. Des véhicules différents, des russes, des américains à foison, des touristes, des « rookies », Thomas Pesquet et peut-être même l’allemand Matthias Maurer à la fin de l’année en fonction du calendrier de Crew Dragon, Tom Cruise, des japonais… Bref, si ce n’est pas un retour aux navettes, il devrait cependant y avoir plus de rotations que durant les exercices traditionnels de la dernière décennie.
Le buzz Estée Lauder jusqu’au Congrès américain
En plus d’une ouverture aux touristes, le directeur de la NASA l’avait prévenu l’année dernière : l’agence souhaite accueillir un maximum d’entreprises au sein de la partie américaine de la station, pour leur offrir des prix planchers et les attirer dans l’espace. Un objectif simple, à savoir subventionner et stimuler une économie de l’orbite basse qui peine aujourd’hui à prendre corps, car l’ISS est un ensemble de laboratoires, et que les entreprises n’y ont logiquement pas trouvé leurs marché pour l’instant. Mais à seulement 35000 dollars de l’heure (et des négociations pour le reste), ça fait réfléchir pas mal de commerciaux. Le but ici n’est pas de rendre la station profitable (et de toutes façons bonne chance, la NASA injecte presque 2,5 milliards par an) mais bien d’attirer un maximum de « business », le tout sans sacrifier l’usage scientifique de la station (5% du temps seront consacrés à ces activités) et sans renier les principes fondamentaux de l’agence. Par exemple, sans accord express des astronautes, ces derniers resteront quoi qu’il arrive maîtres de leur image. Mais bon bref, à ouvrir grand les portes du « business », il ne faut pas s’étonner si les clients qui passent le fronton de l’échoppe ne sont pas ceux à qui on pensait au départ ! Ainsi, c’est la marque de produits de beauté Estée Lauder qui en profite pour se faire un petit buzz : au sein du prochain cargo Cygnus, 10 pots (ou tubes) d’une crème de nuit rafraichissante vont faire le voyage pour une opération de publicité. Elles seront en effet prises en photo (et probablement en vidéo HD) au sein de la Cupola. Temps estimé de travail pour un.e astronaute : 4h (oui, c’est large, mais bon les conditions de luminosité ne sont pas toujours parfaites). Coût de l’opération pour Estée Lauder : 160 000 dollars.
Si on peut le faire avec un drapeau, on peut le faire avec de la crème, non ? Crédits NASA
Evidemment, ce « partenariat » (qui n’en est pas un, c’est une simple prestation) fait beaucoup parler de lui. Moi-même ne sais pas trop sur quel pied danser, car les critères d’attribution ne sont pas clairs et que sans la limite de 5% de temps d’astronaute, je pense que ça pourrait vite déraper. Mais en même temps, c’est un signe des temps. Il ne faut pas oublier dans quel cadre cela s’inscrit : la NASA ne paiera plus d’ici une décennie pour avoir « sa » propre station en orbite. Elle compte payer pour un service, et monter dans une station commerciale existante ses astronautes, ses expériences et se concentrer sur autre chose qu’à faire voler et entretenir l’ensemble. Pour qu’une entreprise puisse tenir tout ça sur ses épaules (et à priori, Axiom Space est sur le créneau) il faudra plus que « juste » les contrats de la NASA. Il faut donc une « space économy », un écosystème économique plus ou moins viable. Ne nous voilons pas la face, pour que cela voie le jour, il y aura de la publicité. Du tourisme de richissimes. Des tournages. Du porn, peut-être même (c’est comme d’habitude, tout le monde y pense mais personne n’en parle). Et sans doute beaucoup de recherches intéressantes. On le disait plus tôt dans la saison, le Spatial n’est que le reflet de la société dans laquelle il s’inscrit.
En tout les cas ne comptez pas sur moi pour boycotter une quelconque part du spatial. Même ses aspects les plus mercantiles m’intéressent. Crédits Roscosmos/Ivan Vagner
Ca n’a pas empêché Jim Bridenstine de passer un mauvais quart d’heure pour tenter d’expliquer aux sénateurs américains réunis en commission de finances que oui, mais non, mais enfin peut-être qu’Estée Lauder fera autre chose que juste des photos, que enfin, mais voilà, vous comprenez… Pédalage dans la semoule que j’ai moi-même peu compris. Car enfin, c’est « open for business » ou pas ? En tout cas, il faudra vite se décider. Car en 2021, ça va bouger !
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De quel droit la NASA décrète que maintenant on peut faire de la pub ou du busness dans l’ISS et qu’avant on ne pouvait pas en faire ? Et selon les règles qu’elle dicte elle ? C’est pas sensé être un truc international ? Elle paie peut-être la majorité du budget mais j’ai l’impression qu’elle se comporte comme si la station lui appartenait entièrement et que les autres éaient là pour faire de la figuration…
La station est bien internationale, mais les USA régissent la partie « USOS », c’est à dire non russe (des règles spécifiques s’appliquant en plus au sein des modules japonais et européens). Elle a tout à fait le droit de décréter sa partie de station « open for business » et d’y amener des touristes, tout comme les russes ont pu le faire au début des années 2000.
Et la coupole, elle appartient à qui ?
A la section non russe.