[ISS] Un record et quelques recherches gênantes
Ce 14 octobre, en décollant à 7h45 depuis Baïkonour, les trois membres d’équipage de la capsule Soyouz MS-17 ont marqué l’histoire spatiale d’un nouveau record, celui du plus court trajet jusqu’à la Station Spatiale Internationale. 3h03 ! Une incroyable performance, qui s’inscrit dans un cadre que l’on sait très dynamique pour l’astronautique actuelle, avec la mise en service des nouveaux véhicules américains. Toutefois, il ne faudrait pas oublier que la station vieillit. En témoigne la longue traque pour trouver « la fuite » d’air qui s’échappe. Un petit souci pour l’instant, alors que la station va fêter ses… 20 ans d’occupation.
Tous dans le même bateau ! Crédits Roscosmos
Soyouz en mode TGV
Et même plus rapide que certaines liaisons ! Ce vol avec une trajectoire courte pour relier Baïkonour à l’ISS était préparé depuis l’année dernière, lors de la transition de la vénérable génération Soyouz FG à la nouvelle (bien que déjà expérimentée) Soyouz 2.1A. Cette dernière est équipée d’une électronique de bord qui lui permet une amélioration de précision assez radicale : l’injection en orbite se fait dans un « cône d’incertitude » beaucoup plus réduit. Du coup, si la station est au bon endroit et au bon moment, il est possible d’allumer les propulseurs de la capsule Soyouz MS dès la fin de la première orbite, les paramètres orbitaux étant déjà confirmés. En 2h30 environ, le véhicule arrive à moins d’une dizaine de kilomètres de la station, et continue progressivement à freiner. Tout se déroule de façon automatisée, et le système d’approche Kours fait très bien son travail. Une approche graduellement de plus en plus lente jusqu’à entrer dans la « sphère de l’ISS » à environ 200 mètres, moins de 3 heures après son décollage du Kazakhstan. Un décollage sans anicroche d’ailleurs, malgré la lourdeur des protocoles liés au Covid les deux Sergei (Kud-Sverchkov et Ryzhikov) et Kate Rubins ont embarqué avec leur masque après avoir respecté la majeure partie du protocole habituel, à l’exception de la rencontre avec les proches et du contingent américain, qui n’avait que quelques rares représentants sur place. L’approche finale pour l’amarrage sur Rassvet a pu se dérouler normalement, le commandant de la capsule (Sergei Ryzhikov) ne rapportant au cours des derniers mètres qu’une très légère déviation en rotation.
* »Oui bonjour on est arrivés avec un peu d’avance… » Crédits Ivan Vagner/Roscosmos
Il y a donc eu contact avec la station en 3h03. Une durée à laquelle il faut ajouter plus d’une heure assis sur une fusée remplie de carburants pour l’équipage, puis deux heures pour la checklist d’arrivée et l’équilibrage des pressions une fois amarrés à l’ISS. Ce qui reste long, mais pas plus qu’un voyage transatlantique en avion, par exemple. Cela reste un beau record… Amplement mis en avant par rapport à ce qu’il représente. Attention, je ne suis pas en train d’écrire que ça n’est pas impressionnant, bien au contraire. Ce trajet a nécessité une coordination parfaite entre la station (replacée quelques semaines auparavant sur une trajectoire idéale) et l’injection en orbite de la capsule. Mais… L’utilité finale est limitée. En effet, il y a rarement « urgence » à emmener trois nouveaux astros et cosmonautes sur la station spatiale. Certes, c’est sans doute plus confortable en 3 heures plutôt qu’en 6, dans le sens où il n’y a pas nécessairement grand chose à faire dans Soyouz, sinon se détacher et aller étendre ses jambes ou faire pipi dans le module orbital (de préférence pas partout dans le module orbital non plus). Bref, à l’exception du confort, j’ai du mal à savoir en quoi ce peut être un véritable atout pour Soyouz. On peut imaginer bien sûr des missions de secours pour amener par exemple un chirurgien sur place, ou bien pour amener un outil pour sauver l’équipage. Mais ce serait oublier qu’il y a beaucoup de choses entourant le temps de trajet. Et qu’il est préparé des semaines, voire des mois à l’avance lorsqu’on prend en compte l’entrainement de l’équipage. A moins d’avoir donc une infrastructure qui prend en compte ce bel exploit technique, il restera un exploit de confort (et c’est déjà très sympa).
Moins de 10 secondes avant contact, entre le cargo Cygnus et le Progress. Notez le périscope en vert en bas de la photo. Crédits Ivan Vagner/Roscosmos
Un court passage à six
Du 14 au 22 octobre, la Station Spatiale repasse à six occupants, et c’est un bonne nouvelle. Déjà parce que depuis le 3 août (soit plus de deux mois), Chris Cassidy, Ivan Vagner et Anatoli Ivanichine ont vécu seuls en orbite. Techniquement parlant, on sait que ce n’est pas un problème. Mais on se souvient que Chris Cassidy lui-même l’avait dit au départ de Crew Dragon, la présence de deux américains supplémentaires lui avait permis de passer de très bons moments. Dans l’absolu, la station est un peu trop grande pour trois : les russes n’ont qu’un nombre d’expériences et de tâches limitées à réaliser au sein de la section USOS et donc les astronautes des différentes nations ne se croisent pas beaucoup, sauf éventuellement à l’heure du diner, dans la Cupola ou à l’entraînement (Ivan Vagner a par exemple été qualifié pour le bras robotisé Canadarm2, il opérait en soutien lors de la récente arrivée du cargo Cygnus NG-14). Cela fait maintenant plus de 6 mois qu’ils sont sur l’ISS, et ils sont en train de boucler leurs préparatifs de retour : dans les jours à venir, essais des combinaison, checklist de la capsule, etc. L’astronaute le plus expérimenté est Anatoli Ivanichine, qui fait son entrée au « top 25 » des humains ayant passé le plus de temps en orbite avec 476 jours lors de son départ. Avec Chris et Ivan, ils auront passé plus de 195 jours dans la station.
Même plus obligés de porter les masques pour les 6 mois à venir ! Crédits NASA TV
On retrouve un « bleu » dans leurs remplaçants, à savoir Sergei Kud-Sverchkov qui vole enfin, après avoir été sélectionné en avril 2010. Une joie et une chance pour celui qui visiblement admire et s’entend très bien avec Ivan Vagner, même s’ils n’auront l’occasion de ne passer qu’une grosse semaine ensemble. Sergei Ryzhikov est le plus expérimenté des arrivants avec une mission longue de 173 jours à son actif, tandis que Kate Rubins est l’une des quatre femmes à avoir eu le droit de décoller deux fois en Soyouz. Elle aussi avait eu droit à une première mission au sein de l’ISS, mais la rotation avait duré moins de quatre mois. Lorsqu’elle quittera l’ISS au mois d’avril, elle sera cependant l’une des astronautes féminines les plus expérimentées avec un peu plus de 300 jours. Compte tenu des prochaines rotations, on peut aussi s’avancer à dire que les 8 mois qui ont passé entre le départ de Jessica Meir et l’arrivée de Kate Rubins auront été une des rares périodes sans astronaute féminine (pour la période précédente il faut remonter avant juin 2018) des années 2020.
Les arrivants resteront en équipage réduit du 22 octobre jusqu’à l’arrivée des quatre astronautes de la mission Crew-1 (sur Crew Dragon, donc), dont la tentative de décollage a été repoussée au moins jusqu’au 11 novembre en raison d’une alerte sur les moteurs de Falcon 9. Après quoi ils devraient passer au moins quatre mois ensemble à 7 dans la station, une première.
La station a résisté à toute les tempêtes pour l’instant. Il n’y a pas de raison que ça s’arrête… Crédits NASA/Chris Cassidy
La « course au trou » se termine
C’est un feuilleton qui dure en arrière plan depuis pratiquement une année : une déperdition d’air au sein de l’ISS supérieure à la normale (car oui, il y a une valeur normale, toute étanchéité a ses limites) détectée à l’automne 2019. Durant les six premiers mois d’investigation sans aucune urgence, les astronautes n’ont pas trouvé la source de la fuite… Pour une bonne raison, puisqu’il est initialement estimé que cette dernière est au sein de la partie non-russe. La situation a un peu changé à la fin du printemps 2020, puisque le débit de la fuite a progressivement augmenté. Problème, les instruments spécialisés échouent toujours à localiser le « trou ». Un premier weekend est organisé en août avec les 3 astronautes dormant au sein de la partie russe de la station : chaque module côté USOS est cloisonné et des capteurs de pression sont à l’affut. Problème, rien n’est détecté de significatif. Il faudra attendre un second isolement pour finalement se rendre à l’évidence, la fuite est située côté russe, plus particulièrement au sein du module Zvezda, le centre névralgique de la station. C’est en effet de là qu’elle est pilotée, en plus de bénéficier des amarrages de Pirs et Poisk à l’avant, et d’un Progress à l’arrière.
Chercher une fuite, c’est très long. Il faut « écouter » les joints » des écoutilles, marquer les progrès… Bref, ça leur a pris du temps, et surtout du temps de loisir. Crédits NASA/Chris Cassidy
La fuite se situerait sur le bord arrière du module (près de son écoutille vers Progress), et aurait été localisée en cette fin de semaine après plusieurs tentatives « façon McGyver », au cours desquelles les astronautes ont par exemple attaché des sacs sur les parois pour voir s’il se dégonflaient, ou bien ont mis des particules en suspension pour voir si elles partaient dans un sens particulier. Il semble au final que ce soit des feuilles (ou un sachet) de thé qui ont permis de trouver ce qui initialement ressemblait à un trou, et qui au final pourrait être, plus inquiétant, une petite déchirure. Selon les médias russes, une première tentative pour colmater la brèche n’aurait tenu que quelques heures… Au cours desquelles toutefois la baisse continue de pression d’air (ne vous inquiétez pas, ils ont des réserves) a baissé de moitié. Dans les semaines à venir, car le sujet est tout chaud, on devrait en savoir plus et voir de nouvelles tentatives pour bricoler et bien comprendre ce qui se passe avec Zvezda.
Et non les enfants, il n’est pas remplaçable ce module. Pour peu qu’il soit fichu avant qu’une solution pérenne ne soit mise en place côté russe comme côté américain, il vaut mieux qu’il tienne le coup. Mais on est loin d’une situation critique pour le moment, et c’est heureux.
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Bonjour
Au sujet du Soyouz en mode « TGV »,
– es-ce permit seulement par l’électronique de bord ou il y a t’il aussi un « coût » en carburant ?
– peut-on encore imaginer de faire le trajet encore plus vite ? Après tout, l’électronique, ça progresse vite…
– es-ce « transférable » facilement à un cargo Progress ou, pourquoi pas, un Crew-dragon ? Je suppose que ça doit être en bonne partie une solution « logiciel » donc « suffit » (je simplifie) d’un PC ?