[NASA] Artemis fait son trou
Force est de constater que même si la NASA n’arrive pas à progresser correctement sur le front de son lanceur super-lourd SLS (le programme de test est encore retardé), le programme Artemis dans son ensemble a gagné ces derniers mois un élan assez intéressant pour être mentionné. Si le programme survit à la transition politique qui s’annonce (peu importe le président élu en novembre) alors Artemis devrait donner lieu à un programme d’une importance majeure sur la décennie spatiale..
Bon clairement on n’en est pas encore tout à fait là (sauf sur les contrats). Crédits Thales Alenia Space
S’appuyer sur l’international…
On le sait, un programme spatial ne gagne pas nécessairement en rapidité lorsqu’il fait intervenir des dizaines de partenaires. Par contre, il gagne en général en crédibilité, parce que les partenariats internationaux, c’est important et que cela permet d’inscrire un gros projet hors des agendas politiques des uns et des autres. Pas question en effet lorsqu’un partenariat est signé, de passer pour ceux qui vont faire capoter toute l’exploration d’une décennie pour un changement de majorité. Après bien sûr, ça n’est pas une constante universelle. On se souviendra des reculades américaines sur le projet ExoMars (à l’origine, ce n’était pas avec la Russie…) ou des hésitations entre les instances européennes et américaines qui ont rendu les missions conjointes DART/HERA bancales… Cela dit, les Etats-Unis ont décidé, sous la direction de la Maison Blanche, de faire de la Lune le coeur de leur programme pour la décennie à venir, avec Artemis. Et Jim Bridenstine, en ex-politicien avisé, a réussi à ancrer ce projet dans une dynamique de long terme, en s’appuyant sur ce qui avait été fait avec la Station Spatiale Internationale. Enfin, à une exception près : les américains veulent être les instigateurs et les opérateurs majeurs du projet. Plus question, comme pour l’ISS, de partager la direction avec la Russie. Cette dernière reste donc aujourd’hui un peu en porte-à-faux, ayant indiqué plusieurs fois dans les dernières années leur intérêt pour l’exploration lunaire et leur volonté de participer à une aventure internationale, sans pour autant adhérer à Artemis, car voulant traiter sur un pied d’égalité. C’est un peu le « seul » souci d’Artemis : l’architecture est ouverte et chacun peut y adhérer… Mais ça restera Artemis tel que décidé par la NASA. Qui en plus souhaite au préalable l’acceptation des « Artemis Accords », une sorte de charte qui étend un peu les principes de celle du « Traité des Nations Unies sur le Spatial » de 1967.
Le premier duo de modules, PPE (Power & Propulsion Element) et HALO (Habitation and Logistics element) décollera finalement ensemble en 2023 ou 2024. Crédits NASA.
Du coup, qui a signé ces fameux accords Artemis ? Eh bien compte tenu des réserves que certains avaient observé lorsque les Etats-Unis les ont mis sur la table, on peut dire qu’ils ont remporté de joyeux succès depuis. Le Japon et le Canada sont les deux premiers a avoir signé, sans grande surprise car il s’agit des piliers qui ont suivi les américains depuis le début de la période des navettes. Mais ils ne sont pas les seuls. On compte les deux « minuscules » agences de l’Australie et du Luxembourg, mais aussi les influentes et puissantes agences spatiales italiennes (l’ASI), anglaises (UKSA) et des Emirats Arabes Unis. Pour la NASA, c’est effectivement la création d’un axe occidental du spatial : les nations européennes sous la bannière de l’ESA ne tarderont pas de leur côté à signer également. Un MoU, une lettre d’intention, a été signée ce matin par Jan Woerner, et les ministres respectifs du Conseil de l’ESA n’auront plus qu’à signer, puisque l’agence continentale est déjà l’un des partenaires prépondérants du projet Artemis (peut-être même les plus importants, comme on le montre ci-dessous). Ce qui serait fichtrement intéressant, ce serait de voir un partenaire inattendu rejoindre ces accords. Je pense à l’ISRO, qui pourrait gagner par là un accès « facile » à une floppée de projets internationaux lunaires qui iront plus loin que ce qu’ils sont capables de faire seuls. La Chine, de par son positionnement vis à vis des Etats-Unis, n’a de toutes façons pas le droit d’accès au projet (c’est bien dommage à mon avis) et comme on l’a mentionné, il serait étonnant que Roscosmos les rejoigne à court-terme. La question de savoir si ce nouvel « axe » sera contrebalancé dans la décennie à venir par un alignement inverse Chine-Russie + autres petites agences asiatiques taraude encore les spécialistes. Sachez juste que ce n’est encore que de la fiction.
Le Canada ne va pas déroger à la règle, et fournira un nouveau bras robotisé. Crédits NASA
L’Europe, sous-traitante lunaire par excellence
De prime abord, on pourrait donc croire que l’avenir du programme d’exploration lunaire habité se jouera dans les couloirs policés de Washington. Dans une certaine mesure, c’est vrai. Mais Artemis se jouera aussi beaucoup en Italie à Turin, à Bremen en Allemagne et à Cannes. Bref, chez Thales Alenia Space et Airbus Defense and Space. Ce dernier, vous le savez déjà, est chargé par l’ESA de la conception et de la réalisation du module de service de la capsule Orion. Pour laquelle la NASA s’est engagée à hauteur d’au moins 9 missions, plus trois options dans la décennie à venir. On est donc sur un partenariat solide. Mais Thales, c’est presque encore mieux. Déjà TAS a raflé le contrat de développement principal pour les deux modules Esprit et I-Hab européens. Ce qui est déjà très bien, et relativement attendu (car TAS a réalisé un bon tiers des modules existants de l’ISS). Mais TAS est aussi le partenaire principal de Northrop Grumman qui se charge du module habitat HALO. Et de Dynetics, finaliste des projets d’atterrisseur lunaire habité (le fameux HLS) pour la NASA. Pour peu qu’un dérivé du cargo Cygnus soit choisi pour ravitailler la station à l’horizon 2026-28, Thales Alenia Space pourrait se retrouver avec pas moins de 5 des 7 modules amarrés à la station, et ça inclut la capsule Orion. I-Hab sera un module d’habitat et d’expérimentation, avec ceci de particulier qu’il sera équipé pour être opéré depuis la Terre, et que chaque expérience interne ou externe qui le constituent devront pouvoir fonctionner sans l’apport d’astronautes, car la Gateway dans son modèle actuel ne sera pas habitée plus de quelques mois par an… au mieux. ESPRIT est tourné vers ce besoin d’interconnexion avec la Terre avec une grande antenne de communication, mais aussi vers la vie à bord avec une passerelle pour du stockage de ressources (et l’envoi de carburant vers le PPE) et de grands hublots pour l’observation.
I-hab devrait être compact mais fonctionnel. Crédits ESA.
En réalité, je pense qu’on ne se rend pas compte à quel point l’ESA et les industriels européens ont pris le « train lunaire » en marche. Les projets fleurissent, et ce ne sont pas des fonds de carton qui ont 20 ans et qui ressurgissent maintenant. Ce sont de vraies nouveautés, qui vont vraiment pouvoir apporter quelque chose au débat et à l’exploration de la Lune. L’ESA a eu beau dire que le « moon village » était un concept pendant une bonne décennie, maintenant que la NASA est engagée dans le même secteur, l’agence européenne a livré une feuille de route très alléchante. Reste à voir si cela peut se concrétiser, tout en gardant une relative indépendance pour exécuter des programmes avec d’autres acteurs… Comme l’ESA l’a fait jusqu’ici avec une contribution sur les futures missions Luna russes, en livrant des charges utiles sur la Lune avec les nouveaux opérateurs privés américains, ou en nouant de nouveaux partenariats avec la Chine (ça… c’est pas encore gagné. Mais le CNES fait ça très bien).
Présentation du module européen ESPRIT. dont l’architecture reste aujourd’hui peu connue. Crédits ESA/ATG Medialab
SLS bloque toujours le calendrier
Ah oui ça par contre, ça reste une constante. Jamais projet aussi ambitieux n’aura été si dépendant d’un aspect technique qui n’a pour le moment été ni testé ni validé. C’est LE gros point noir du programme, parce que même si chaque module peut décoller et arriver et s’amarrer à la station Gateway de façon plus ou moins indépendante (tous les détails ne sont pas réglés), si vous voulez envoyer des astronautes dessus, à un moment il va falloir utiliser Orion, et donc SLS. Or c’est un problème absolument majeur aujourd’hui. Non seulement le premier vol (non habité) de SLS n’aura lieu qu’au 3è ou 4è trimestre 2021, si tout se passe bien, mais en plus le rythme prédictif de ces missions (environ une par an, si tout se passe bien) ne laisse envisager aucune révolution dans l’accès à la Lune pour la fin de la décennie à venir. Admettons que SLS ait un problème l’an prochain… ou en 2026, ou coûte trop cher pour les contribuables américains au pouvoir en 2028 : comment faire pour accéder à cette station internationale si la seule façon d’y parvenir c’est par la NASA ?
En ce mois d’octobre, la tour de lancement mobile est revenue sur le pas de tir, mais toujours sans SLS. Crédits NASA
Vous me direz, une solution se dessine. Je la connais. Mais je doute que Starship puisse à moyen terme devenir autre chose qu’un épouvantail non habité. Par son existence même aujourd’hui, il fait vaciller quelques bases dans le projet Orion et SLS. Or construire une base orbitale lunaire sur des bases qui vacillent… C’est pas une superbe idée. Poussant le concept plus loin, je ne suis pas certain que tous les partenaires des Accords Artemis soient super enthousiastes de donner de l’argent à SpaceX car l’entreprise d’Elon Musk serait le seul point de passage vers la station lunaire qu’ils ont eux-mêmes assemblé…
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Bonjour
Tous les modules donnés à TAS a développer, au final, ils sont payé par qui, la NASA ou l’ESA ?
Ben ça dépend lesquels ! HALO est payé par la NASA à Northrop Grumman, le HLS par la NASA à Dynetics, i-HAB et ESPRIT par l’ESA…