[SpaceX] Starship, encore quelques bâtons dans les roues
Le bal de Starship se poursuit, mais nous ne sommes plus au printemps. Si les prototypes sont de plus en plus aboutis, ils passent aussi de plus en plus de temps sur le banc d’essai. Pour le meilleur ? Difficile de se prononcer pour le moment. Presque un an après la première (et spectaculaire) destruction du prototype Starship Mk1, et quelques jours après un nouvel incident lors d’un test sur SN-8, faisons le point.
SN8 « toujours debout » le 19 novembre 2020. Crédits Youtube/LabPadre
Un saut, deux sauts, bravo !
Après la destruction de l’exemplaire prototype SN4 le 29 mai dernier, on pouvait légitimement se demander combien de temps le numéro 5 pourrait prétendre rester en une seule pièce. Eh bien à la surprise générale, ce dernier n’a rien lâché. Il aura fallu presque un mois de réparations et de modifications pour que le pas de tir puisse accueillir SN5. Entre temps, SpaceX en profite pour tester un réservoir dans un nouvel alliage d’acier. Il sera testé jusqu’à destruction, avant le transfert de l’exemplaire SN5. Ce dernier arrive sur le site le 24 juin, avant de subir une première batterie de tests à la pression. Il y résistera avec succès, et se vit attribuer un moteur le 5 juillet. Il faudra cependant un mois complet d’essais et de tentatives avortées au dernier moment pour réussir à le faire « sauter » dans un fascinant vol de démonstration à 150 mètres d’altitude. Et « sauter » dans le bon sens, comprenez sans explosion spectaculaire. Le 5 août, SN5 s’envole et réussit à se poser moins d’une minute plus tard sur son site d’atterrissage (une dalle) prévu à environ 250 mètres de là. Un exploit, certes, d’autant que l’unique moteur était en position déportée : il démontre s’il le fallait une fois de plus que SpaceX dispose d’une impressionnante maîtrise sur ses contrôles de vol et ses moteurs.
Here's a close-up snippet from my Starship SN5 150 meter hop video showing the Starship legs v1.1 (according to @elonmusk) deploying beautifully before touchdown in Boca Chica🚀 V2.0 will be wider/taller & capable of auto-leveling
🔗🎥Link to watch in 4K: https://t.co/MqsyFQEOyf pic.twitter.com/H1Rfc3FVCn
— Trevor Mahlmann (@TrevorMahlmann) 5 août 2020
SN5 décolle, pour un premier saut d’un vrai demi-Starship.
Il faudra ensuite un mois supplémentaire pour faire voler le « jumeau » de SN5, le bien nommé SN6. Il y a évidemment quelques améliorations, et les vols ne seront pas exactement identiques, tandis que les équipes gagnent en expérience, puisqu’il ne faudra qu’un mois pour ramener l’étage sur son pas de tir, pour les tests en pression, l’installation du moteur puis le saut. Cette fois encore, SN6 passe les essais en pression, puis réussit à grimper à 150 mètres avant de se poser comme une fleur. Fascinant de facilité. Serait-ce le retour des tests rapides ? Elon Musk semble enclin à foncer dans cette direction, puisqu’il explique sur twitter qu’il souhaite que les exemplaires fassent « plusieurs séries de sauts » pour que ses équipes puissent s’entraîner et que le matériel gagne en fiabilité. Pourtant, à ce jour, SN5 ni SN6 n’ont revolé… Même s’ils ont été transférés en l’état sur le site de construction et d’assemblage (ils prennent de la place là bas, en attendant d’éventuels nouveaux essais). Il faut cependant reconnaître le dilemne actuel. Si une « campagne » complète d’un ensemble réservoirs + moteurs dure pratiquement un mois, difficile de ne pas créer un bouchon avec les équipes de production, qui eux continuent d’améliorer un exemplaire après l’autre, tant en méthodes d’assemblage qu’en techniques de test. A tel point que je doute que SN5 soit parfaitement représentatif du comportement sur le pas de tir, lors d’une mise à feu ou même en vol, des exemplaires SN9 ou SN10 en cours de préparation finale cet automne. Après le saut de SN6, le temps que ce dernier soit ramené au site de production, un nouveau réservoir SN7 était testé jusqu’à la rupture, le 23 septembre.
SN5 au cours de son vol. Avouez qu’on ne s’y attendait pas tout à fait… Crédits SpaceX
Le vol de SN8 tant attendu, mais très ardu
SN8 était annoncé dès début septembre comme le « Starship qui allait pour la première fois traverser l’atmosphère » avec un vol annoncé à 20 kilomètres, ensuite un peu réduit à « seulement » 15 kilomètres d’altitude. Mais pour cela, il faut déjà que l’étage passe (comme ses prédécesseurs) les tests de pression, puis lui installer trois moteurs, dont il est nécessaire de vérifier le fonctionnement lors d’une mise à feu statique. L’étage est amené sur son pas de tir le 27 septembre, avec déjà une différence majeure sur les versions précédentes : la présence de grands ailerons sur la partie basse. Dès qu’il a passé les essais de pression, trois moteurs sont installés, mais la « plomberie » n’est pas si évidente, et les équipes prendront du temps pour arriver à une configuration satisfaisante et… qui marche. En effet, la mise à feu statique est plusieurs fois reportée, pour finalement avoir lieu le 20 octobre. Deux jours plus tard seulement, le « nez » de la fusée quitte le site de production, et rejoint le banc d’essai. Là encore, c’est une première : il faut plusieurs jours pour que la gigantesque grue amenée pour l’occasion puisse soulever le nez, et que les équipes l’attachent efficacement. Tout cela prend beaucoup de temps… Et encore une fois, les exemplaires s’empilent sur l’autre site ! Il semble toutefois qu’un deuxième banc d’essai sera bientôt mis en fonction, pour pouvoir aller plus vite et mener des campagnes d’essais plus efficaces. Mais ce 19 novembre, il n’a pas encore servi.
SN8 a des ailes, et elles bougent même parfois toutes seules ^^ Crédits E. Musk
Une fois le nez en place, ne suffisait-il pas d’allumer les moteurs et de mener le vol parabolique à 15 km d’altitude ? Malheureusement, ce n’est toujours pas aussi simple que ça. Il y a le réservoir « bas » dans Starship, qui alimente les trois moteurs pour la montée. Mais il y a aussi un réservoir spécifique dans le nez, dont le carburant n’est utilisé que pour l’atterrissage. Il faut vérifier que les branchements sont bons, que l’ordinateur de bord puisse passer de l’un à l’autre et surtout, que les moteurs puissent fonctionner avec. Ce fut l’objectif de la dernière campagne en date, avec la mise à feu d’un seul moteur le 11 novembre, puis des trois moteurs le 13 novembre. Mine de rien, ça fait pas mal d’essais ! Lors du dernier cependant, même s’il n’y eut pas de spectaculaire explosion, SN8 a pris un méchant coup. La puissance des moteurs a ainsi désagrégé une partie du sol sous le prototype, dont l’un des éclats est venu frapper le boitier avionique d’un moteur, sectionnant des câbles : ledit moteur s’est pour ainsi dire auto-consommé jusqu’à fondre une partie de sa propre chambre de combustion, tandis que la pression est montée sans discontinuer dans le réservoir du nez de la fusée. Un disque de sécurité s’est détaché comme prévu, préservant l’ensemble du lanceur (finalement, plus si mal fichu), laissant place à des réparations. Six jours plus tard, le moteur en question a été remplacé, les équipes travaillent sous le pas de tir, Elon Musk a annoncé que les boitiers de câblage allaient être blindés et les réparations sur le corps du lanceur vont bon train. Starship SN8 devrait reprendre le chemin des essais ! A moins qu’il ne détruise une partie de l’infrastructure, il faut signaler que SN9 semble prêt à prendre la relève côté assemblage, et SN10 n’en est pas loin.
Complexité exponentielle de la section moteurs. Et ce n’est pas terminé… Crédits SpaceX/E. Musk
SuperHeavy arrive… Comment accélérer ?
Finalement, c’est toute la question. Il est absolument normal que plus le lanceur ou l’élément testé sera complexe, plus cela prendra du temps, et pas seulement à préparer mais aussi à étudier et réparer. Le prototype SN8 sur le pas de tir aujourd’hui n’a plus grand chose à voir avec Mk1 l’année dernière, ou SN1 au début de l’année. Tant mieux, mais il est aussi beaucoup plus compliqué. Plus question de quelques soudures : lors d’un petit échec, il faut immédiatement ramener les spécialistes moteurs, éplucher les données, trouver le défaut, réparer, remettre en place et… repartir de zéro. Ce sera le cas pour SN8 qui devra sans doute subir de nouveaux essais de pression des réservoirs (au moins du nez) avant de passer à une nouvelle mise à feu statique (puisqu’ils ont changé un moteur)… Puis seulement penser, enfin, au saut à 15 km d’altitude (lequel présente d’autres défis). Face à ce besoin d’accélérer, on a parlé de la mise en place du second site de test. Mais cela suffira-t-il ? Difficile de se prononcer pour l’instant. Il est devenu commun que SpaceX bloque la route et le site d’essais jusqu’à 5 ou 6 heures d’affilée pour un test : comment bosser sur un autre exemplaire juste à côté ?
Le comportement en vol des « nez » de Starship reste un point clé des tests à venir. Crédits SpaceX/E. Musk
Surtout qu’il reste un petit détail… SuperHeavy arrive ! Le (très grand) booster n’est pas encore prêt, ni même assemblé pour le moment, même si plusieurs sections seraient déjà prêtes. Pour lui, SpaceX a préparé un autre piédestal pour les tests… Mais il n’est pas encore terminé non plus. D’ici un mois environ, on devrait en voir beaucoup plus et avoir de premiers détails sur ce futur monstre, qui effectuera ses premiers essais sans moteurs, puis avec un nombre réduit d’unités pour ne pas en sacrifier trop à la fois. Tout ceci sera encore long, mais doit intervenir en parallèle du développement ou en tout cas du raffinement des techniques liées au véhicule orbital. Donc les activités vont finalement et fatalement se télescoper. Comment SpaceX espère gérer tout ça ? C’est une grande question.
Derrière l’accélération et la longueur des tests, rappelons que tout ce que nous voyons à Boca Chica, et particulièrement ce qui s’y est passé en 2020, coûte une véritable fortune. Il y a plusieurs milliers d’employés qui interviennent sur le site, en comptant les roulements et ceux qui ne sont pas présents tous les jours. C’est une véritable « usine à Starship » qui est mise en place, le tout sans aucun revenu pour le moment… Et Starlink qui doit à long terme financer le projet n’est pas, et de très loin, dans un objectif de rentabilité à court terme. Ce qui signifie que SpaceX va continuer d’emprunter de l’argent pour ce projet. Beaucoup. Espérons que personne ne se lasse de leur donner de l’argent !
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Au sujet de la proposition de SpaceX pour le « Human Landing Systems », on a des nouvelles, un prototype, une maquette ? C’est quand même pas celui-là (même si ils ont un air de famille) ?!
La maquette est en cours de préparation sur le site, à l’intérieur d’une des coiffes de test qui ont été construite. Elle devrait être terminé d’ici la fin d’année.
SpaceX est en train de mettre en place une maquette sur le site de Boca Chica, avec un « nez » de Starship qui ne sera pas utilisé pour les tests mais aménagé à l’intérieur.
Pour le reste, c’est essentiellement du dossier à préparer pour rendre à la NASA, qui sélectionnera un ou deux fournisseurs au printemps prochain.