[ULA] Quelques nouveautés et quelques vieilleries
Au mois de juillet, United Launch Alliance s’imposait comme l’un des grands « gagnants » de 2020, avec des contrats solides de la part de la NASA, une confiance renouvelée pour les lancements liés à la défense nationale et même des contrats commerciaux pour Vulcan. La fin de l’été et ce début d’automne sont plus amers, entre dégâts techniques, grosse pression sur les lancements et retards chroniques.
Le transfert d’Atlas V sur son pas de tir lundi fut à l’image de l’automne d’ULA : le lanceur est retourné dans le bâtiment d’assemblage. Crédits ULA.
Delta IV Heavy est une vieille fusée
Le décollage du satellite NROL-44, que l’on suppose être un très impressionnant satellite de collecte de renseignements électroniques en orbite géostationnaire, et dont l’antenne ferait jusqu’à 100 mètres de diamètre, devait initialement avoir lieu à la mi-août (des décalages plus tôt étaient liés au satellite et aux habituels délais). Cela dit, NROL-44 n’a toujours pas décollé et le feuilleton se poursuit, car son lanceur Delta IV Heavy a subi ce qu’on peut pratiquement appeler l’inventaire complet de tout ce qui peut arriver à une fusée au sol. Il y a d’abord eu des soucis de météo, puis un compte à rebours avorté dans les toutes dernières secondes (avec les flammes venant lécher les flancs de la grande fusée) à cause des équipements au sol qui retiennent justement le lanceur. Après trois semaines d’attentes et de réparations, de nouveaux soucis de météo, puis un problème récurrent avec un bras ombilical qui a de nouveau stoppé le compte à rebours dans les dernières secondes d’une tentative début octobre… NROL-44 n’a pas encore de date pour un nouvel essai afin de viser l’orbite, mais on atteindra à minima trois mois de retard sur la date originelle, et beaucoup, beaucoup de stress pour les équipes non seulement d’ULA, mais aussi celles qui ont conçu et réalisé le satellite sous la coiffe, dont la valeur doit approcher sinon dépasser le milliard de dollars.
L’extrême majorité des pièces que vous voyez sont uniques. Ou sont en double, mais les autres sont en Californie. Crédits United Launch Alliance
Ces essais (sur 3 mois j’ai perdu le compte, on doit être entre 8 et 10) coûtent cher à United Launch Alliance. Cher en crédibilité déjà parce qu’on l’oublie, mais la réputation de l’opérateur n’est pas basée que sur sa fiabilité, mais aussi sur sa capacité à livrer « à temps » et « dans les frais » les services escomptés. Un trimestre de retard pour un satellite non assuré, qui a passé énormément de temps replié sous coiffe, c’est long, très long. Mais il n’y a pas bien le choix : United Launch Alliance est un peu coincé, car Delta IV Heavy est un lanceur en fin de vie. Non qu’il soit, avec ses installations, particulièrement vieux puisqu’il a démarré sa carrière en 2002… Mais surtout parce qu’il ne reste qu’un nombre limité de décollages pour ce lanceur (deux cette année, deux autres prévus en 2022, et un dernier en 2024). Si l’US Air Force fait une demande cette année, la fusée pourrait rester en service jusqu’à 2025, mais d’ici là elle sera remplacée par la version la plus puissante de Vulcan, qui aura eu le loisir d’être certifiée par les autorités américaines. Avec 5 lancements en 5 ans, inutile de vous préciser que ULA ne va pas investir des dizaines de millions d’euros sur le pas de tir, mettre une équipe de 500 personnes pour s’occuper de la préparation des décollages ou remplacer l’intégralité des équipements à chaque fois qu’il y a un petit souci. La priorité, c’est la mission qui doit réussir. Il en va de la réputation d’ULA. Pour le reste, les économies sont à l’ordre du jour. Pas de redesign du pas de tir ou de la fusée… Et surtout, la production étant réalisée des années à l’avance, pas de nouvelle pièce à fournir ! Le service est taillé pour que ça marche. Lorsque ça coince comme avec NROL-44, cela peut durer longtemps. Delta IV Heavy a toujours été capricieuse, même dans la dernière décennie !
Avec Delta IV Heavy, c’est la production des RS-68A qui s’arrêtera. Dommage. Mais sont-ils déjà tous sortis de la chaîne ? Crédits Aerojet Rocketdyne
Atlas V : nouveaux boosters pour la fin de carrière
De façon ironique, même s’il reste plus de lanceurs Atlas V à envoyer vers l’orbite que de Delta IV Heavy, il sera mis à la retraite plus tôt. Cela étant, ça n’empêche pas quelques évolutions qui devraient être utilisées avec quelques adaptations sur la future génération, Vulcan. C’est le cas des boosters auxiliaires à ergols solides, les nouveau GEM-63 de Northrop Grumman. Ces derniers sont attendus depuis longtemps, il me semble que la signature du contrat était en 2015 ou 2016, pour une date de mise en fonction initiale prévue en 2018. Plus puissants et moins chers, ils signent la mise à la retraite des AJ-60A… Et au passage, la fin de l’activité « ergols solides pour lanceurs » chez Aerojet Rocketdyne, qui se concentre sur les activités des systèmes d’armes, sur les moteurs RS-25 du lanceur super-lourd SLS et les RL-10 des étages supérieurs. Mais revenons à Atlas V. Elle gagne donc un peu en performances, même si c’est anecdotique par rapport à ses charges utiles, en général largement dans les cordes de cette fusée très capable. Reste qu’elle non plus n’est pas immunisée contre les ennuis techniques. Atlas V ne décolle pas toutes les 6 ou 7 semaines comme ce fut le cas en 2014 et 2015.
Franchement, vous voyez une différence, vous ? C’est léger… Crédits United Launch Alliance
Non, la cadence a bien baissé : le dernier décollage en date était celui de la mission Mars 2020 le 30 juillet dernier. Le 2 novembre, après une préparation aussi douce que possible et sans mésaventure, les équipes ont fait rouler Atlas V vers son pas de tir… Pour immédiatement revenir dans le bâtiment d’intégration. De forts vents ont réussi à endommager un ombilical relié à la coiffe. Branle-bas de combat ! 24 heures plus tard, alors que les électeurs américains étaient appelés aux urnes, le lanceur était amené sur son pas de tir pour un décollage le 4 novembre. Patatras une nouvelle fois, cette fois à cause d’un petit souci sur un équipement au sol. (une valve du système d’oxygène liquide). La réparation a pu avoir lieu, mais pas à temps pour assurer un décollage dans la fenêtre de tir, ce qui décale le décollage au moins au 6 novembre, puis au 8, puis au 11 novembre à cause de nouveaux vents forts et de la tempête Eta. Décidément… Les équipes n’auront pourtant pas une minute à perdre si Boeing est au rendez-vous à l’heure avec le prochain vol, puisqu’il s’agit du second essai inhabité de Starliner, actuellement prévu au 4 janvier. Ce qui laisse moins de deux mois (avec les fêtes et le coronavirus) pour préparer Atlas V. Ca peut le faire !
Nrol beaucoup mais Ndécolle pas ! Désolé. Crédits United Launch Alliance
Vulcan pourra-t-elle être à l’heure ?
Avec Ariane 6 repoussée aux calendes grecques (2022), H-3 en retard, et les concurrents New Glenn en retard et OmegA annulée, Vulcan semble être le seul des lanceurs à pouvoir encore viser le premier semestre 2021. Tout cela est à pondérer : un retard n’en devient un que lorsque les autorités l’avouent ! La direction d’ULA s’est pour le moment fendue d’une communication à minima sur le sujet. Tout juste sait-on que les soucis de moteurs BE-4 de Blue Origin sont résolus et que les équipes ont pu aller de l’avant pour livrer les premières unités de vol au plus vite à Decatur en Alabama, où le premier étage de Vulcan est en assemblage. Il faudra de toutes façons guetter un premier exemplaire de test structurel, qui sera acheminé par barge jusqu’à Cape Canaveral pour les premiers essais de compatibilité sur le bâtiment d’assemblage et le pas de tir LC-41. Le problème c’est que comme on l’indique au-dessus, il n’y a pas beaucoup de temps dans les mois qui viennent pour dégager physiquement le pas de tir pour « jouer » avec Vulcan et rôder les équipes à l’intégration, voire pousser les essais jusqu’à un remplissage des réservoirs. Après NROL-101, le pas de tir pour Atlas V passera à Starliner, puis à STP-3 (US Air Force) puis USSF-8 (Space Force), le tout avant la fin du premier trimestre. Donc je ne serais absolument pas surpris de voir les premiers essais de Vulcan repoussés à la fin mars/début avril, avec un premier décollage qui serait repoussé à la fin de l’été, voire au début de l’automne. Cela étant, pour le moment ULA continue de viser le deuxième trimestre 2021. Affaire à suivre ! En tout cas les nouveaux boosters GEM-63 qui voleront avec Atlas V sur le décollage ces prochains jours seront scrutés durant toute leur montée: la version XL (allongée) de ces mêmes boosters sera utilisée durant une grosse décennie par United Launch Alliance : interdiction de partir de travers !
On rentre, on sort, on rentre… Crédits United Launch Alliance
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