[JAXA] Le Japon réussit le tour de force Hayabusa2
Forcément, j’ai un petit pincement au coeur en rapportant la fin (hors extension) de cette mission extraordinaire, car son départ était l’objet de l’un de mes tout premiers posts de blog, il y a maintenant six ans (on est tout près des 1000, si vous voulez savoir). Mais six ans après, donc, promesse tenue pour les japonais : la sonde Hayabusa2 est arrivée à proximité de la Terre, et a réussi à larguer sa petite capsule contenant des échantillons de l’astéroïde Ryugu. Un exploit.
Quelques uns des milligrammes les plus importants pour la science planétaire des années à venir sont là dedans. Crédits JAXA
Une réussite intégrale
Forcément, maintenant que les échantillons sont sur Terre dans le laboratoire de Sagamihara, ce sont surtout les images des derniers jours qui nous reviennent en tête : la trajectoire de Hayabusa2 affinée depuis la fin du mois de septembre et la fin de la phase de propulsion ionique vers la Terre, les quelques dernières manoeuvres, le largage de la capsule, sa rentrée atmosphérique très suivie par le public au Sud de l’Australie, puis le suivi dans la zone d’atterrissage, et enfin le décollage de l’hélicoptère de récupération avec l’équipe… Qui a attendu qu’il fasse jour pour récupérer le précieux petit container. Une fresque magnifique, bien coordonnée et très bien exécutée. Mais on en oublierait presque que les japonais ont totalement maîtrisé l’ensemble de TOUTES les opérations de la mission, depuis son décollage le 3 décembre 2014. Eh oui, alors que l’astéroïde ne s’appelait même pas encore Ryugu ! Au moment de son départ, la mission était amplement vue comme une version musclée et corrigée de Hayabusa première du nom, qui était revenue sur Terre en 2010 après une mission marquée par une incroyable série de ratés (ou de réussites « malgré tout »). Forts d’une nouvelle collaboration avec les français et les allemands ainsi qu’un accord avec la NASA pour un partage des échantillons (et des échanges avec l’équipe OSIRIS-REx), le Japon s’engageait alors dans son aventure solo la plus ambitieuse.
Inoubliable Ryugu. Crédits (voir image)
Même si la JAXA n’a pas le budget de communication, ni la technique, de sa consoeur la NASA, le succès est indubitablement au rendez-vous : la mission est à présent mondialement reconnue pour avoir ramené des échantillons de Ryugu, après avoir passé un an et demi à étudier le petit astéroïde en forme de diamant. A une panne près (le petit robot Minerva 2-2, qui n’était pas sous responsabilité de la JAXA), c’était juste parfait. On gardera à l’esprit la lente découverte de Ryugu et de sa forme en mai-juin 2018, puis l’arrivée au « point d’observation » à 20 kilomètres le 28 juin. Et cette formidable mais terrible découverte pour les équipes : la surface toute entière de l’astéroïde n’est qu’un titanesque agglomérat de cailloux de toutes les tailles et de toutes les formes. Un défi à hauteur des équipes de la sonde, ainsi que de ceux qui s’occupent des petits robots embarqués par Hayabusa2. Après le largage réussit des deux robots Minerva 2-1 en septembre 2018, c’est le tour de Mascot, déposé à la surface au cours du Congrès International de l’Astronautique à Brême. Une fête, qui se termine bien pour les équipes, la petite « boite à chaussure » fonctionnant plus de deux orbites pour emmagasiner un maximum de données. Le reste de la mission suit un planning tout aussi ambitieux, avec la dépose de marqueurs de cibles en vue des collectes d’échantillons. La première a lieu le 18 février, incroyable succès dans une tension maximale au centre de contrôle. La seconde aura lieu en juillet, mais auparavant, Hayabusa2 largue encore un petit module avec un minuteur : rien de moins qu’une bombe, qui va propulser un disque de cuivre à haute vitesse sur la surface de l’astéroïde. La sonde descendra plusieurs fois observer ce petit cratère qui n’en est pas un, constatant des variations de surface à plus de 20 mètres du point d’impact. Puis elle descendra collecter son deuxième jeu d’échantillons directement sur ce site. Moins de six mois plus tard, les observations terminées, Hayabusa2 repart vers la Terre avec sur son flanc la petite capsule, et à l’intérieur l’espoir de nombreuses équipes de scientifiques autour du monde. Un exploit sans faille pour le Japon, pour ce qui n’était finalement « que » le deuxième essai vers un astéroïde géocroiseur.
La tension autour de ce moment en février 2019 était extraordinaire. Crédits JAXA
Ramener des échantillons, une spécialité très recherchée
Certains chercheurs décrivent les retours d’échantillons (en raccourci, puisqu’il s’agit bel et bien d’aller les collecter dans le même mouvement) comme le défi de la décennie. Il faut avouer que si on considère les différentes « cibles » les plus proches et accessibles autour de chez nous (la Lune, les astéroïdes, Mars), il y a déjà eu plusieurs missions pour se rendre près d’eux, pour les observer, les orbiter lorsque c’est possible, voire s’y poser. Pour le retour d’échantillons, c’est un moment effectivement propice. Déjà parce que robotiquement, les progrès sont palpables en 20 ans. D’autre part, il est toujours aussi compliqué d’aller les chercher avec des astronautes, pour la simple et bonne raison qu’il faut leur donner les conditions nécessaires pour survivre tout au long du trajet ET de pouvoir sortir au bon endroit. Les cibles les plus intéressantes, et peut-être les plus simples (en terme de complexité de mission) sont sans doute les astéroïdes, et cela s’est traduit par les missions Hayabusa 1 et 2, ainsi qu’OSIRIS-REx, qui pour l’instant se passe à peu près aussi bien que sa cousine japonaise. Ce n’est pas terminé bien sûr, il y a la mission chinoise Zheng He prévue à partir de 2023 ou 24 vers un astéroïde, également pour y collecter un peu de matériel. Il y a évidemment la mission lunaire Chang’E 5, qui est en cours et qui devrait se terminer dans la gloire du régime communiste autour du 16 décembre, qui sera elle aussi suivie d’au moins une tentative similaire en 2023-2024. Ce qui fait, entre 2020 et 2025, 5 missions de retour d’échantillons ! Ceci sans même prendre en compte les possibles tentatives de la NASA pour ramener ou observer des échantillons lunaires dans cet intervalle de temps.
Tiens, je crois qu’on a retrouvé nos échantillons ! La JAXA
Cela étant, ça n’est pas encore faire le tour de tout ce qui est prévu. Il reste trois missions, dont une est très bien définie, qui partiront plus loin pour y « récolter » quelques grammes (ou plus) de matériel. La première du lot est la japonaise MMX, actuellement promise en 2024 (on me souffle un possible glissement à plus tard) qui partira étudier de très près les deux lunes de Mars, Phobos (dont elle prélèvera un peu de surface) et Deimos. Une aventure dans la droite lignée des Hayabusa, et que je trouve encore plus ambitieuse ! Les deux autres sont les futures tentatives de collecte d’échantillons à la surface de Mars. Là, c’est encore une autre dimension. Bien sûr, Perseverance fait déjà partie de ce schéma de mission en allant directement prélever sur une quarantaine de sites, et c’est très prometteur. Mais il reste tant d’étapes ! La mission Mars Sample Return, à laquelle l’ESA participe activement et qui est doucement mise sur les rails, pourrait même être dépassée sur la ligne d’arrivée par une future mission chinoise avec le même objectif mais un véhicule « tout en un » organisé sur la même architecture que celle de leurs aventures lunaires. Il n’y a pas encore de date, mais on évoque, avec de grosses pincettes, 2028 à 2030. Je ne serais pas le moins du monde étonné que d’autres missions se profilent d’ici là, vers un nouveau géocroiseur par exemple dans une mission conjointe JAXA/NASA à l’horizon de la fin de la décennie afin de ramener encore plus de matériel, ou de viser un astéroïde très particulier. Je pense aussi que nous aurons (enfin) une ou plusieurs tentatives de collecte sur une comète.
Jolie vue centrée sur le Pacifique lors du survol de Hayabusa2. Crédits JAXA
L’extension de mission… à quel prix ?
L’équipe de pilotage de Hayabusa 2 s’est engagée dans une très longue extension de mission, que je trouve assez extraordinaire. Déjà parce qu’elle va durer onze ans, ce qui n’est pas commun. La plupart des extensions dont on entend parler, c’est deux ans par deux ans et rarement plus ! Donc là oui, 11 ans c’est déjà pas mal. Et il ne s’agit pas de « simplement » mettre Hayabusa2 sur le bon trajet, puis d’aller bricoler sur une autre mission pendant que le véhicule en sommeil, non pas du tout. Déjà, les japonais ont prévu pour la première période de 5 ans (2021-2026) qui sera la plus calme, d’utiliser les caméras de la sonde pour évaluer et mesurer la lumière zodiacale du Soleil (soit en gros la diffusion de la lumière dans notre Système Solaire) et étudier la distribution des poussières stellaires dans notre système planétaire. Ensuite, ils observeront aussi des transits d’exoplanètes connues avec le capteur et l’objectif le plus précis de la sonde, ce qui permettra d’affiner quelques mesures astronomiques (si déjà) et de caractériser ce genre de matériel pour d’autres missions sur le long terme.
Ryugu dans toute sa caillouseté. Crédits JAXA
En juillet 2026, Hayabusa2 survolera l’astéroïde 2001 CC21, qui est un très impressionnant caillou de pratiquement 10 kilomètres de diamètre ! On ne sait pas encore à quelle distance, mais il faut espérer que les équipes japonaises ne soient pas trop timorées à cette occasion (sous les 50 km ce serait extraordinaire). Mais c’est pas fini ! Il reste encore deux survols de la Terre en 2027 puis 2028, avant l’approche « finale » de juillet 2031 pour rejoindre 1998 KY26. Ce dernier est tout petit (20 mètres de diamètre seulement) et tourne rapidement sur lui-même, environ une fois toutes les 10 minutes. Ce sera très intéressant à observer, même si d’ici là j’aurais 45 ans et ce sera en soi un drame personnel. Peut-être serais-je encore en train de vous expliquer l’actualité spatiale ? Je n’en sais rien. Mais au Japon, il y a une équipe qui s’y prépare déjà ! Bonne chance à eux, ce sera long…
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