[USA] Artemis, comme si de rien n’était
Ils sont 18. Neuf femmes et neuf hommes, sélectionnés parmi les astronautes américains de la NASA pour participer aux « premières » missions habitées du programme Artemis et retourner botter les fesses des soviétiques marcher sur la Lune. Bien sûr, l’agence n’a pas encore attribué les missions. Elle serait bien en mal de le faire : Artemis, bien qu’étant le projet phare de la NASA aujourd’hui, est menacé par ses retards et par le budget nécessaire pour l’aventure lunaire. Où en est-on en cette fin 2020 ?
Le dernier « National Space Council » du vice président Mike Pence. Crédits NASA/Kim Shiflett
Diversité sur grand écran
La NASA avait donc choisi ce mercredi 9 décembre pour dévoiler son « équipage Artemis » (qui n’en est pas un), avec 18 astronautes triés sur le volet. Avec une parité pure, c’est dans la lignée de ce qui était attendu. L’agence américaine met en avant sa volonté d’avoir des profils diversifiés, sans toutefois s’étendre sur de quelconques critères de sélection qui font que certains sont là et d’autres pas. C’est en effet un exercice d’équilibriste : si vous annoncez avoir pris uniquement les meilleurs, les autres vont commencer à se demander ce qu’ils font là. Car oui c’est un fait, la NASA n’avait que l’embarras du choix, avec un grand nombre d’astronautes en activité. Si je peux faire une remarque, même si plusieurs d’entre eux sont issus de différents corps d’armée, et que certains sont réservistes, l’agence n’a pas pris à ma connaissance de militaire d’active comme peuvent l’être Mike Hopkins (qui va passer dans la « space force en étant au sein de l’ISS, toute une histoire) ou Randy Bresnik. Elle n’a surtout pris personne de trop vieux. Erhm, oui, parce qu’être sélectionné Artemis, c’est aussi donner une quelconque assurance qu’on sera encore astronaute actif dans 10 ans, et tout le monde ne peut faire cette promesse. Le plus « vieux » d’entre eux est donc Scott Tingle. Côté hommes, on retrouve les expérimentés Joseph Acaba et Kjell Lindgren pour compléter un trio « d’anciens ». Victor Glover, actuellement sur l’ISS (crew-1) est de la partie, et avec eux cinq « rookies » de la sélection de 2017, à savoir Raja Chari, Matthew Dominick, Warren Hoburg, le « couteau suisse » Johnny Kim (commando SEAL décoré, puis médecin urgentiste avant astronaute…) et Frank Rubio. J’avoue être surpris du nombre de nouveaux !
Hâte de les voir au moins autour de la Lune !
Côté femmes… Ah, petit apparté : notez bien que si on fait la distinction dans cet article ça n’est pas, et même surtout pas, parce qu’il y a une différence de capacité entre astronautes hommes ou femmes, mais parce que la NASA a tenu a faire cette distinction dès l’instant où la Maison Blanche lui a donné l’injonction d’envoyer « un homme et une femme » fouler le sol lunaire. Côté femmes, donc, la NASA n’a pas hésité à sélectionner Anne McClain, très capable mais dont le dossier était pourtant taché d’une accusation de piratage (dans le cadre d’un houleux divorce). Elle fait partie des astronautes expérimentés, avec le « duo de choc » dont tout le monde se souvient en 2019, Christina Koch et Jessica Meir. Il y a la plus « vétéran » Stephanie Wilson (3 vols de navette) et celle qui se prépare à décoller avec une autre capsule expérimentale, Nicole Mann (assignée à Starliner Boe-CFT, le premier vol habité). Le tout sans oublier Kate Rubins, actuellement sur l’ISS, et dont on se souvient qu’elle était présente avec D. Trump lorsqu’il a signé la « space policy » à destination de la Lune. A celles-ci on ajoute également trois « rookies », Kayla Barron, Jasmin Moghbeli et Jessica Watkins. Dans ce détachement je suis étonné de ne pas retrouver l’excellente Serena Aunon-Chancellor, et peu étonné de l’absence de la grande malchanceuse, Jeannette Epps. Un sacré contingent !
Si Artemis arrive un jour à cette étape cruciale, l’une d’entre elles foulera le sol lunaire. Crédits NASA
SLS, l’année blanche
Fin décembre 2019, le premier étage de SLS quittait le site de production de Michoud, après des années de préparation, de délais, de retards et de surcoûts. Il prenait la barge, mais pas pour aller bien loin, puisque le site de test de Stennis n’est éloigné que de quelques dizaines de kilomètres (même s’il se situe dans l’Etat d’à côté). A l’origine, il partait pour une période indiquée de 6 à 8 mois, pour pouvoir arriver au Centre Spatial Kennedy fin août-début septembre, avec l’objectif sympathique d’avoir un lanceur super lourd SLS assemblé d’ici la fin de l’année (à défaut de le lancer…). Mais entre la crise sanitaire liée à la COVID, aux soucis techniques initiaux, et les nombreux retards liés aux conditions climatiques (toute l’activité du site cesse pour de bonnes raisons lorsqu’il y a une alerte aux ouragans, ce qui peut bloquer le site plusieurs jours d’affilée), ça ne s’est pas passé comme prévu. La preuve, c’est que nous sommes au 14 décembre, et la dernière étape avant le fameux essai « Green Run », à savoir un compte à rebours fictif avec remplissage des réservoirs, n’est toujours pas acté. Du coup, il y a toujours au moins six mois de retard supplémentaire, et les autorités à la NASA commencent à préparer le terrain pour dire que oui, bon, la date actuellement préparée de novembre 2021 n’est pas nécessairement tenable. A ce niveau, c’est un peu une honte. C’est surtout que l’ensemble du programme Artemis fait reposer sa crédibilité sur celle de ce lanceur, et qu’aujourd’hui il n’a toujours apporté aucune garantie.
Le silence, et toujours le silence au centre Stennis. Crédits NASA
Surtout, on voit bien qu’il reste des défis. En octobre déjà, les équipes ont eu de la chance, il y a eu une valve à changer dans le compartiment moteur du premier étage de SLS avant le test suivant. Bon, c’est pas la mer à boire, mais ça a pris plusieurs semaines… Et ça a failli être pire, parce que le compartiment moteur est si densément conçu et instrumentalisé qu’il ressemble au hub de Chatelet à l’heure de pointe. Donc pour un peu il aurait fallu descendre l’étage, puis démonter le compartiment moteur, retirer un moteur, remplacer la valve et tout recommencer. Je ne sais pas si vous imaginez la pression qui repose sur les épaules des équipes qui jouent de la pétanque s’occupent des tests de SLS, mais au moindre gros raté, c’est tout le programme qui risque de vaciller. Il y a grosso modo le même problème au centre Kennedy, puisque le magazine « the verge » révélait récemment que la capsule Orion avait l’un de ses deux systèmes de gestion électrique en panne critique… Et qu’il est impossible de le changer ou de le réparer sans démonter le module de service européen et la structure d’adapteur qui va avec, engendrant un retard chiffré entre 4 et 12 mois ! Enfin, on ne sait pas aujourd’hui, il est tout à fait possible que la NASA et Boeing décident de faire voler Orion avec un seul système électrique non redondant. La pression est devenue si folle qu’ils en sont là. Heureusement qu’il n’y a personne dedans… Pour ne rien arranger, toutes les autres pièces que le premier étage sont prêtes depuis belle lurette. Les deux premiers segments des boosters sont sur la structure de lancement, ils sont prêts ! Mais les deuxièmes segments ne peuvent être assemblés pour l’instant: lorsque les protections sont enlevées pour rejoindre les segments à la verticale, la durée de vie garantie d’un booster n’est « que » de un an. Il n’y a que pour SLS que ça pose problème.
L’endroit où il est officiellement interdit de faire une seule connerie. Crédits NASA
Les politiciens se renvoient la balle
Tandis que le désagréable spectacle fourni par le perdant des élections se poursuit à la Maison Blanche, la transition politique houleuse qui s’annonce risque de peser lourd sur la NASA. S’il est dit et soutenu qu’Artemis dispose d’un fort soutien dans les deux chambres du Congrès, il faut encore que l’administration tienne la barre. De nombreux observateurs pensent que le « clan » Biden va torpiller Artemis. Il est en effet possible (et certains diront, souhaitable) de montrer à quel point ce projet après une décennie est une scandaleuse façon de dépenser des milliards de dollars, le tout en créant un comité qui va effectivement dire que c’est une gabegie, etc. En « faisant traîner » on enterre ce genre de projet et la honte qui va avec, ait il été décidé (à part son nom) sous une administration dont Biden était vice-Président. A titre personnel, si ce n’est les annonces choc de D. Trump sur le spatial, je pense qu’une Maison Blanche sous Biden ferait beaucoup d’heureux en « maintenant le cap » et en communiquant efficacement sur la NASA.
La « National Team » menée par Blue Origin est la plus active des trois équipes sélectionnées, et évoque très régulièrement sa proposition d’atterrisseur. Crédits Blue Origin
Pourtant, ça n’est pas gagné. Cela vous aura peut-être échappé, mais la NASA est actuellement bénéficiaire d’une « continuing Resolution » (CR) sur son budget 2021. Ce qui signifie en clair, qu’elle n’en a pas. A chaque intervalle de quelques semaines, elle bénéficie d’une rallonge budgétaire sur la base de son budget 2020 au prorata. Ce qui est très bénéficiaire pour certains programmes (SLS et Orion en tête) mais particulièremet ennuyeux pour préparer Artemis et son objectif inatteignable de poser le pied sur la Lune en 2024. Car l’atterrisseur lunaire n’est toujours pas bien financé. Oh bien sûr une enveloppe assez gourmande était distribuée cette année aux trois entreprises qui ont postulé pour le contrat géant HLS (967 millions de dollars), et la NASA sélectionnera deux entreprises pour se partager un peu plus de butin pour le développement dès le début de l’année prochaine. Mais ces montants sont sans commune mesure par rapport à ce qui est demandé pour tenir des objectifs… Qui étaient déjà impossibles à tenir. C’est la beauté politique de cette injonction de la Maison Blanche pour atterrir sur la Lune en 2024 : si vous n’y arrivez pas faute de budget, c’est à cause du Congrès, si vous n’y arrivez pas faute de technique, c’est sans doute que vous n’avez pas été suffisamment ambitieux. Enfin bref, il manque encore beaucoup de briques pour que les fondations soient solides et que l’on puisse affirmer avec certitude qu’Artemis emmènera bien ses astronautes comme prévu sur la Lune, que ce soit en 2024 ou plus tard. Face aux récentes réussites chinoises sur le sujet, je serais très étonné que l’administration change son fusil d’épaule, mais au gré de nouveaux retards ou de dépenses à limiter… L’exploration spatiale ne pèse pas très lourd lorsque d’autres préoccupations nationales sont mises en avant, et on peut aussi imaginer que le gouvernement Biden, qui hérite d’une épidémie avec 300000 morts, aura peut-être d’autres priorités que de promouvoir un programme lunaire. A suivre !
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Mais que ferait la NASA si elle n’avait plus Artémis ? Il lui faut bien un grand projet sur lequel travailler et faire réver ? Mars, c’est bien trop loin! Un programme de pure science, c’est trop élitiste! Continuer l’ISS, ça commence à être usé! Diminuer son nombre de programmes pour coûter moins chére au budget national, bin voyons! Non, elle est trop engagé pour faire un changement de cap radical.