La NASA change d’administration Et maintenant ?
Si toutes les agences spatiales publiques sont tributaires des gouvernements et politiques qui leur tiennent les cordons de la bourse, le cas de la NASA est devenu emblématique. L’agence la plus riche du monde doit en effet chaque année emporter l’adhésion politicienne des deux chambres du Congrès (la Maison des Représentants et le Sénat) qui vote le budget sur proposition de la Maison Blanche. Budget qui doit ensuite être à nouveau validé par le Président lui-même, ou faire l’objet d’allers retours. Un chemin démocratique… Mais tortueux au possible, jalonné d’étapes dont la NASA elle-même n’a souvent pas le contrôle (son budget est d’ailleurs régulièrement regroupé avec celui d’autres agences, pour les transports, la recherche et l’éducation, qui font l’objet de négociations groupées). Régulièrement, les politiciens américains n’ont qu’un seul contact référent pour leurs activités spatiales. Celui ou celle qui est visible partout, se doit d’être le porte-parole ultime, qui endosse la responsabilité pour le budget, l’agence, les réussites et les échecs, et qui paradoxalement n’a quasiment aucun pouvoir de direction : l’administrateur de la NASA.
Au Centre Spatial Kennedy, des ouvriers ont pris plusieurs mois pour compléter d’importants travaux de peinture sur l’un des plus iconiques bâtiments du spatial américain : le VAB, ou Vehicle Assembly Building. De quoi ranimer le débat sur le logo « Meatball » (que l’on voit ici) ou le « Worm »… Crédits NASA/Kim Shiflett
Le début de l’administration Trump : un amer constat
Le 20 janvier 2017, l’administrateur de la NASA Charles Bolden, ex-astronaute et jugé plutôt talentueux bien que peu visible à ce poste, quitte le navire. Profondément démocrate dans l’âme, il n’aurait de toutes façons pas été confirmé dans ses fonctions. C’est son adjoint Robert Lightfoot qui se charge de l’intérim… Le pauvre ne savait pas à quoi il s’est engagé : comme toute décision de l’administration Trump, la nomination du futur responsable de la NASA a fait l’objet d’un intense débat, si bien que R. Lightfoot est resté en poste près d’un an et demi, 458 jours.
En bonus, Donald Trump a réactivé le « Space Council », un comité piloté par le Vice Président, incluant des politiciens, des industriels, des juristes, des astronautes… Une machine qui a pris une tournure très politique. Crédits NASA/Joel Kowsky
Pour la NASA, ce début de mandat n’est pas flamboyant, et pour cause : même si le Congrès fait inscrire dans une loi de finance que l’objectif de long terme de l’agence est d’envoyer de futurs astronautes dans des missions habitées vers la planète rouge, la grande architecture (devenue un slogan) du « Journey To Mars » martelée depuis 2014 n’est plus dans l’air du temps. La première orientation de politique spatiale de D. Trump sera d’ailleurs de réorienter les efforts de l’agence vers la Lune. C’est confus, il n’y a pas de ligne directrice claire de la Maison Blanche sur le sujet, et R. Lightfoot n’étant qu’intérimaire n’a pas les mains libres pour enclencher un projet structurant de grande envergure. Mars n’est pas proche alors, puisque les prochaines missions (InSight et Mars2020) n’ont pas lieu avant un an et demi, tandis que la Lune… Nécessite de nouveaux contrats et appels d’offres, puisque la NASA n’avait pas prévu d’y envoyer grand-chose.
L’occasion est tout de même prise de reformuler efficacement le projet Gateway pour en faire une « ISS autour de la Lune ». Chacun sait alors que ce n’est pas pour demain, mais l’espoir est posé d’en faire quelque chose. D’autres grands projets piétinent : le Space Launch System voit son décollage et ses tests finaux repoussés, tandis que le contrat de plusieurs milliards avec SpaceX et Boeing pour retrouver la capacité d’envoyer des astronautes depuis le sol américain s’éloigne (les deux constructeurs ont été trop optimistes et rencontres de nombreux écueils) …
Jim Bridenstine dans son rôle préféré. Crédits NASA/Joel Kowsky
Jim Bridenstine, un administrateur né ?
Le nom de ce politicien républicain n’a pas été sorti du chapeau début 2018 : depuis le début de l’aministration Trump, Jim Bridenstine était pressenti pour le poste. Sa nomination a fait l’objet de plusieurs débats enflammés, notamment en raison de plusieurs déclarations passées en tant que député de la Chambre des Représentants ou en campagne, affirmant par exemple que la cause du réchauffement climatique n’était pas claire, ou soutenant D. Trump. Surtout, avoir un politicien aux commandes suscite souvent l’opposition de la « base » scientifique et technique de la NASA, autant que du public qui affectionne son agence pour ses réalisations, pas pour sa langue de bois. Pour autant, Jim Bridenstine était relativement légitime à ce poste, ayant siégé plusieurs années dans les conseils bipartisans du Congrès sur le spatial. Ancien pilote de F-18 aussi, il n’était pas vraiment à classer dans la catégorie des indécrottables bureaucrates. Il prend finalement ses fonctions le 23 avril 2018. Dire qu’il a convaincu à ce poste ne lui rend pas justice : la plupart des observateurs s’accordent à dire que Jim Bridenstine fut un excellent administrateur pour la NASA. Passionné d’abord, c’est un homme qui a foi dans son discours, même lorsqu’il est émaillé de formules de communication. J’ai assisté à l’une de ses interventions au Bourget, pour un texte autour du projet Artemis qu’il servait déjà depuis des mois, et qui n’a pas beaucoup varié l’année dernière. Pourtant, il y a insufflé un tel enthousiasme que si son audience n’a pas été pas convaincue, nous sommes repartis sûrs d’une chose : lui, il y croyait.
Présent sur tous les fronts, de toutes les interrogations du Congrès jusqu’à ses posts Twitter (comme les grands patrons qui font front pour leur entreprise, Bridenstine est devenu l’un des visages types de la NASA), il a su se faire apprécier des astronautes, respecter par la presse, intégrer par les chercheurs de l’agence. Inclusif, engagé sur le thème du climat tout en ne piétinant pas trop la politique de la Maison Blanche, il aurait pu avoir selon certains l’aval du camp démocrate pour rester aux commandes… Mais Jim Bridenstine n’a pas voulu d’un nouveau débat, préférant quitter son poste le 20 janvier et amorcer une transition qu’il a appelé de ses vœux à être claire, rapide et efficace.
Petit bilan directorial de quatre ans de NASA
Incontestablement, le constat est positif. Déjà, l’agence a réussi à convaincre les politiciens de lui donner plus de budget, ce qui fait que le secteur se porte très bien. D’autre part, les grands sujets on tous avancé significativement ces dernières années. Plusieurs missions sont en cours, d’autres ont été mises en route avec cette administration : Mars Sample Return, participation à MMX, les missions Lucy et Psyche, Dragonfly vers Titan, etc. Les Etats-Unis sont aussi et plus que jamais le pays phare du NewSpace, que ce soit pour les lanceurs ou pour les projets les plus fous, et ces quatre dernières années ont vu l’émergence de nouveaux acteurs incontournables, même si certains resteront à la planche à dessin.
Mais le projet phare, celui qui a réussi à être sur toutes les lèvres c’est bien évidemment Artemis. Le projet lunaire par excellence, mis sur la table très tard (2019 pour dans sa formulation « actuelle ») avec la date irréaliste mais dans toutes les bouches : envoyer un homme et une femme sur la surface lunaire en 2024. Disons-le tout de suite, cela n’aboutira pas à la date prévue, mais la NASA s’en est astucieusement dédouanée en demandant un budget titanesque pour pouvoir tenir les délais. Cela étant, Artemis c’est surtout une architecture, un projet, un objectif pour une agence qui doit en permanence motiver à la fois ses troupes et l’opinion publique. Et là, c’est réussi.
L’agence a mobilisé tout le monde, depuis la nouvelle sélection d’astronautes, en passant par les entreprises du NewSpace grâce à de petits contrats commerciaux, jusqu’aux géants de l’aérospatiale américaine qui s’écharpent sur les contrats à haute valeur : pour les modules de la station Gateway, pour les fusées qui les enverront, les cargos, et pour le pan le plus emblématique, le nouveau véhicule qui posera les astronautes sur la Lune. Les partenaires internationaux ont répondu présent, la portée politique est assurée par les « Artemis Accords », et tout irait bien si l’énorme couperet que représente le lanceur super-lourd Space Launch System n’entrait pas en ligne de compte. Ce dernier est excessivement cher, en retard, chahuté politiquement et techniquement, et représente un véritable handicap pour Artemis… Dont il est en même temps l’un des emblèmes, puisqu’envoyer des astronautes vers la Lune est sa seule utilité. Reste qu’avec Artemis, les américains ont retrouvé le sens de la marche, puisqu’ils réclament à corps et à cris qu’ils vont à nouveau être les meilleurs (même quand ça n’a pas de sens, c’est leur marque de fabrique).
Lui Artemis, il y pense le matin en se rasant. Et à midi. Et le soir. Et sous la douche. Et devant Netflix. Crédits NASA/Bill Ingalls
Cela étant, ces quatre dernières années, il y a aussi eu du gâchis et des reculades. On peut évoquer la mission (demandée par les politiques) Europa Clipper à destination de la lune gelée de Jupiter, qui fait face à d’énormes défis parce que la NASA avait obligation de l’envoyer vers la géante gazeuse à l’aide du Space Launch System. Plusieurs centaines de millions ont d’ailleurs été injectés pour travailler à un projet d’atterrisseur qui, on le savait au moment des budgets, ne pourrait se concrétiser à court terme. En « levant le pied » sur l’observation terrestre, minée par des projets pharaoniques et des satellites-bijoux à plusieurs milliards, les Etats-Unis ont aussi perdu pied dans le suivi du climat, archidominé aujourd’hui par les européens qui distribuent les données Copernicus dans le monde entier. On peut enfin mentionner quelques autres fiascos que SLS, notamment les contrôles et la « confiance » accordée à Boeing dans le cadre du contrat Commercial Crew, menant à l’essai raté de décembre 2019 dont le géant américain ne s’est toujours pas remis (le vol pour requalifier la capsule n’est pas prévu avant mars-avril).
SpaceX peut remercier la NASA… Mais en 2020, la NASA peut remercier SpaceX pour une belle année ! Crédits NASA/Aubrey Gemignani
Des défis ? Quels défis ?
L’administration Biden, qui vient de prendre place à la Maison Blanche, a tout intérêt a assurer une transition rapide à la tête de la NASA. Non pas que Steve Jurczyk, qui assure l’intérim, ne soit pas compétent, mais bien parce que l’agence a besoin, après une telle séquence de leadership et d’élan, de pouvoir conserver cette énergie en fixant des objectifs clairs et bien définis. Il se murmure que J. Biden souhaiterait placer une femme à la tête de l’agence. Un changement bienvenu, s’il met en valeur l’un des profils hautement compétents pour le poste (il y a des femmes très qualifiées pour diriger l’agence) et pas un faire valoir. D’autre part, il y a dans chaque transition de pouvoir à la tête de la NASA la perspective d’objectifs différents et souvent les démocrates ont tourné le dos à la Lune pour concentrer les efforts sur Mars. Heureusement, Artemis est conçu de telle sorte qu’il est possible de s’en faire l’avocat tout en militant sur le fait que les développements d’aujourd’hui autour de la Lune soient les fondations des véhicules martiens de demain. Un peu cliché ? On verra bien…
La personne à la tête de la NASA n’aura pas un exercice facile. Certes, les véhicules américains amènent des américains en orbite. Mais il reste à gérer l’arrivée de Starliner, à assurer la sécurité de tous (y compris l’arrivée de la petite navette cargo Dream Chaser l’an prochain) et… De leur donner une destination. Car l’ISS se fait vieille, et son remplacement, ou sa transformation, seront l’une des problématiques au cœur du mandat à venir. Donner les rennes à Axiom Space ? Prolonger la station jusqu’à 2028-30 ? Abandonner l’orbite basse ?
Pour Artemis aussi, il faudra consolider. Les bases sont écrites, mais le projet est fragile. Le Space Launch System est à la merci d’une grande coupe dans les budgets… Mais gare, enlever le lanceur géant de Boeing, ce n’est pas nécessairement faire gagner 3-4 milliards par an à la NASA, plutôt une probable réduction de l’ambition américaine. Et puis au sein d’Artemis, il faut aussi assurer la partie contractuelle robotisée, donner un but aux futurs astronautes, choisir le nouveau LEM… Il y a du travail. Il y aura même de nouveaux sujets. Gérer mieux, et internationalement les déchets orbitaux. Opérer avec les gestionnaires des superconstellations. Supporter le NewSpace sans créer un tremplin à faillites. Oui, ce ne sont pas les défis qui manquent. Alors, qui pour les relever ?